Enjoliveurs-25 : « technologie »
Lorsque notre gouvernement fait la bêtise de vendre un TGV ou un Airbus à un pays asiatique (attendez ! la bêtise n’est pas là), presque inévitablement, le marché se conclut à la condition que la vente s’accompagne, disent les journaux, d’un « transfert de technologie ». Pour parler clairement, nous livrons aux acheteurs, non seulement une machine, mais aussi les secrets de sa fabrication. Une affaire géniale, comme disent les djeunz ! Nos chers clients ne tarderont pas à fabriquer eux-mêmes des centaines de copies de ce que nous leur avons vendu en claironnant que c’était « le marché du siècle », et la prochaine fois, ils nous souffleront nos autres clients éventuels. Mais ce n’est pas là que je veux en venir : nous sommes des pigeons nés, mais nous sommes aussi des gens qui détestent leur propre langue.
Transfert de technologie ? N’ayant pas le livre sous la main, je crois que c’est dans L’Europe submergée, publié en 1987, qu’Alfred Sauvy pointait une manie agaçante, celle de confondre technique et technologie. Or le premier de ces deux mots semble avoir été balayé depuis cette date, puisqu’on ne l’emploie quasiment plus. Bien à tort.
La technique, c’est la partie matérielle, l’ensemble des procédés d’un art. On dira par exemple qu’un pianiste a une technique impeccable, que la technique d’un film n’est pas fameuse, ou que la technique d’une voiture est à l’avant-garde.
La technologie, comme l’indique son étymologie, c’est l’étude des techniques. Le Littré parle de « traité des arts en général » et dit que c’est l’explication des termes propres aux différents arts et métiers. Le mot est relativement récent.
Donc il est très clair que la technologie n’est pas la technique, mais l’explication qu’on donne de son fonctionnement, ce qui est complètement différent. C’est ce que disait Sauvy dans son livre. Mais nos amis enjoliveurs ne saurait tolérer qu’un mot simple et compris par tous subsiste dans le langage courant : il faut com-pli-quer ! On a donc choisi, dans le vocabulaire, le mot le plus proche de technique, c’est-à-dire technologie, et on l’a substitué au terme exact, au prix d’un contresens. Et tant pis si le génie de la langue française réside dans sa clarté et sa précision. On préfère aujourd’hui le flou et l’à-peu-près.