Gégé a raison... et tort !
Il a raison, Depardieu, de s’en prendre au Premier ministre dans une lettre ouverte. Sans même avoir le courage de le nommer, Jean-Marc Ayrault avait qualifié d’« assez minable » sa décision d’aller vivre en Belgique, à seulement un kilomètre de la frontière française, comme pour faire un pied de nez au fisc. D’abord, parce que Depardieu n’est sûrement pas le premier à s’être exilé, et qu’on n’a entendu aucun Premier ministre français s’en prendre, par exemple, à ces icônes que sont Aznavour, Delon et quelques autres, qui sont installés en Suisse depuis des décennies. Apparemment, ce qui défrise les dénigreurs systématiques, c’est ce fameux kilomètre entre Gégé et son pays natal. S’il s’était installé à Uccle, banlieue chic de Bruxelles, comme d’autres l’ont fait, on ne lui aurait pas cherché des poux dans la tête. À quoi cela tient...
Il a encore raison, Depardieu, de faire observer qu’il est loin d’avoir été un mauvais citoyen. Son argent a fait vivre d’innombrables personnes ; par exemple les employés et les gérants des commerces de la rue du Cherche-Midi, où il a beaucoup investi (ne serait-ce qu’en faisant rénover sa maison de fond en comble, ce qui lui a coûté des millions d’euros), et qui seraient peut-être au chômage sans sa clientèle et son soutien financier. J’ai toujours été franchement étonné qu’on ne prenne pas conscience de ce fait : que si les riches ne dépensaient pas leur argent dans le commerce de luxe, davantage de pauvres seraient au chômage. Vaudrait-il mieux imiter ces milliardaires qui achètent des tableaux de maître et les entassent dans les coffres-forts d’une banque, pour le seul plaisir de posséder un bien que plus personne ne verra ? J’avais même plaisanté, je ne sais plus où, sur le fait que l’épicerie Fauchon de la place de la Madeleine était d’essence communiste, puisqu’elle faisait payer les riches, le rêve de Georges Marchais, lequel radotait sans cesse ce slogan très fin quoique très peu fondé sur l’arithmétique.
Il a tort, Gégé, de renvoyer à l’administration son passeport et sa carte Vitale. Sans passeport, il ne pourra plus travailler à l’étranger, ni produire, comme il l’a fait, des films du tiers-monde. Je vous rappelle que le dernier film de Satyajit Ray, Le visiteur, en 1991, c’est lui qui l’a produit, comme en témoigne la fiche technique du film. Ray était l’un des plus grands artistes de l’histoire du cinéma, mais il n’intéressait personne, à Calcutta, puisqu’il ne faisait pas de ces comédies musicales idiotes dont les Indiens ont le goût. Quant à la carte Vitale renvoyée, je ne vois pas par quel processus un citoyen français pourrait se désincrire de la Sécu.
Enfin, il a tort, Depardieu, de prétendre que le fisc lui avait confisqué 85 % de son argent par le biais de l’impôt sur le revenu. D’abord, parce que c’est mathématiquement impossible, aucune tranche de ce taux n’existant nulle part, et même le taux de 75 % imaginé par Hollande ne produirait pas cet effet ; ensuite, parce que le bouclier fiscal, bien que supprimé aujourd’hui, faisait qu’on remboursait aux contribuables, donc à lui, tout ce qu’on leur avait pris au-dessus de 50 %. Et cet énorme mensonge, il aurait dû le laisser à Gainsbourg, qui avait déjà usé de ce prétexte lorsqu’il brûla un billet de 500 francs à la télévision pour illustrer, disait-il, que les impôts lui « prenaient » 72 % de ce qu’il gagnait. Mentir publiquement, ça paye rarement, savez-vous ? Et le démenti officiel ne va sans doute pas tarder.