Genre majeur, genre mineur
La hiérarchisation du statut des écrivains français me semble curieuse. Ceux que l’on a coutume de qualifier de « grands écrivains », au vingtième, voire au vingt-et-unième siècles, paraissent à mes yeux suivre la même voie que les romantiques du dix-neuvième : ils ne parlent que d’eux-mêmes. Le plus souvent à l’abri derrière un personnage fictif, mais qui leur sert de faux nez – ou de porte-parole, si vous préférez. Par une étrangeté que je ne m’explique pas, le monde, notre monde, leur est étranger. Les préoccupations de nos contemporains, sauf s’ils vivent aux antipodes (Ah, les Canaques ! Ah, les Aborigènes !) ne les atteignent jamais.
Avez-vous jamais lu chez Albert Camus un quelconque souci de l’augmentation du prix de l’essence ? Chez Sartre, la moindre préoccupation du niveau scolaire chez les élèves de sixième ? Chez Proust, l’inquiétude du résultat des élections législatives ? Chez Mauriac, un début d’angoisse à propos du salaire des infirmières ? Chez Simone de Beauvoir, un souci à l’égard des tarifs pratiqués par les plombiers ? Chez Aragon, une hantise concernant la crise du logement ? Chez Michel Tournier, une anxiété sur l’augmentation des tarifs de la RATP ? Chez Marguerite Yourcenar, un tourment concernant le retour de la grippe à chaque automne ?
Le comble est que ces vedettes de l’édition, quasiment toutes, dédaignaient (ou dédaignent, Tournier vit toujours) tout autre littérature que la leur. Le roman policier, de science-fiction, de fantastique, d’anticipation, tout cela, ce sont des « genres mineurs ».
Cette question m’intéresse, et vous n’avez pas fini de me voir écrire là-dessus.