Gerald Messadié vu par « Le Canard »
Il faut oser le dire, les critiques employés au « Canard enchaîné » ne sont pas très bons. Ceux qui s’occupent de cinéma ne savent pas évaluer les films, estiment que les bons ne valent pas le déplacement et que les pires sont à voir absolument (j’ai des dizaines d’exemples) ; celui qui traite du théâtre rédige des articles trop longs où il raconte toute la pièce, mais finit par vous embrouiller ; quant aux critiques littéraires, ils gonflent leur papiers de citations interminables et ont l’esprit confus. Parfois, ils n’ont pas lu le livre dont ils parlent, et ce symptôme, abuser des citations, les trahit.
Le numéro paru ce matin rend ainsi compte d’un livre de Gerald Messadié dont j’ai déjà parlé il y a un peu plus d’un mois, Invraisemblances et contradictions dans la Bible. J’ai ce livre, donc, depuis un mois, et je connais le travail de Messadié depuis assez longtemps, ce qui m’autorise à faire moins d’erreurs que le rédacteur du « Canard », Alain Dag’Naud, qui en parle cette semaine après l’avoir seulement survolé (survolé le livre, pas Messadié). Son article commence donc par une erreur de fait, Messadié été rédacteur-en-chef-adjoint de « Science et Vie », pas rédacteur-en-chef, poste dont il a démissionné il y a un quart de siècle pour se consacrer à la rédaction de ses propres livres, qui sont érudits et du plus haut intérêt.
Mais surtout, Dag-Naud, qui semble assez ignorant des questions religieuses dont Messadié s’est fait une spécialité puisqu’elles constituent la moitié de ses livres, semble découvrir ce que tout un chacun, s’il est un peu instruit, sait déjà depuis des décennies. En vrac : que les divers et très nombreux rédacteurs de la Bible se contredisent entre eux sans arrêt ; que le Deutéronome dit le contraire de ce qu’affirme l’Exode à propos de la malédiction sur les pères qui frappe aussi les enfants ; que Caïn n’a pas pu prendre femme puisque Adam et Ève n’avaient apparemment mis au monde que des garçons (j’en ai déjà parlé ICI en juillet, donc avant la parution du livre de Messadié) ; que l’annonce à Marie qu’elle va enfanter ne figure que dans deux évangiles sur les quatre officiels (et qu’au moins un des deux est honteusement truqué par le biais d’une extrapolation très ultérieure) ; que le massacre des Innocents par Hérode est une pure invention ; que Jésus n’a probablement jamais fichu les pieds à Nazareth, village trop petit où son père (adoptif ?) Joseph, qui était charpentier, n’aurait en aucun cas pu trouver de travail ; que les traducteurs confondent les termes Nazoréen et Nazarethain, le premier désignant les membres d’une secte à laquelle Jésus a sans doute appartenu avant de prêcher (son baptême par Jean le Baptiste en est un indice) ; qu’il est ridicule de croire que Judas a « trahi » un Jésus... qui ne se cachait pas, que tout le monde à Jérusalem avait vu en public, et que les Romains ne cherchaient pas, puisqu’ils n’avaient RIEN à lui reprocher ; et que jamais Pilate n’aurait laissé au peuple la décision de condamner ou de relâcher Jésus : il aurait flanqué en l’air son autorité de procurateur de Rome !
Tous ces détails sont archi-connus, ne serait-ce que parce que la chaîne de télé Arte a consacré à ces questions deux séries de dix documentaires, il y a plus de dix ans, et qui sont très complets, et parce que... Messadié lui-même les avait abordées depuis son premier livre sur Jésus, L’homme qui devient Dieu, publié en 1989.
Eh oui, les critiques littéraires devraient savoir lire !