Grand ou petit ?

Publié le par Yves-André Samère

Pour les Français, jamais les choses n’ont une taille normale : toujours ils l’exagèrent, dans un sens ou dans l’autre. J’ai bien conscience de marcher sur les brisées de Pierre Daninos, qui a déjà traité ce sujet il y a presque soixante ans (en 1954, je crois bien), mais comme, d’une part, je n’ai pas son livre sous le main, et que, d’autre part, il est douteux que vous l’ayez lu, je fais cette mise à jour à ma manière.

Bref, tout à l’heure, à la boulangerie, un client qui venait d’acheter ce qu’on appelle aujourd’hui des viennoiseries, c’est-à-dire des saloperies sucrées, a demandé à la boulangère si elle n’aurait pas « une petite serviette » à lui donner. Pourquoi « petite » ? Il ne s’attendait tout de même pas à ce qu’elle lui refile un drap de bain ! Il parlait ainsi parce que c’est une façon de s’excuser quand on demande un service quelconque. Si ce monsieur avait réclamé une grande serviette, il se serait sans doute senti dans ses petits souliers. Dans le même esprit, nous partons toujours en vacances dans un petit coin tranquille, nous prenons un petit apéro avant le déjeuner, et nous avons une petite faim quand vient le moment de passer à table. Puis nous allons faire une petite sieste en compagnie de notre petite femme ou de notre petite amie. Bien, passons.

À l’opposé, quand il s’agit de commerce ou de publicité, tout est grand. Nous assistons à de grandes quinzaines commerciales, nous participons à de grands concours, nous regardons de grandes émissions de télé où se produisent de grandes chanteuses, nous allons voir de grands films réalisés par de grands metteurs en scène (Spielberg est rebaptisé « le plus grand réalisateur du monde » et Meryl Streep « la plus grande actrice » quand Denisot les reçoit), et, naturellement, nous élisons le plus grand président du monde qui fait une grande politique. Là, notre folie des grandeurs, et c’est même le titre d’une pellicule produite par un de nos grands faiseurs de films, s’exprime dans les grandes largeurs.

Mais parfois, il y a mieux – ou pis –, et je connais au moins un exemple : celui des écrans, qui sont toujours géants. Je vous mets au défi de dénicher dans un magasin, un café, une salle de spectacle ou un stade, un écran qui soit exigu, riquiqui ou même de taille normale. Cette lubie m’a toujour fait hurler de rire, et lorsque j’étais au bureau du Fan Club français de la série Friends, comme j’assurais aussi la rédaction en chef des publications sur papier de cette honorable association (en fait, je rédigeais au moins, sous divers pseudos, la moitié des articles), j’avais écrit une petite note qui raillait cette manie, dont notre cher président était atteint : lors des séances hebdomadaires du Fan Club, qui avaient lieu tous les dimanches soir dans un pub proche de la Gare Montparnasse, deux épisodes de la série étaient projetés, et naturellement « sur un écran géant », assurait la pub du Fan Club. Mes moqueries n’ont pas plu à tout le monde, je le crains, mais elles étaient justifiées : le fameux écran avait une largeur d’un mètre vingt ! (Il doit y être encore, il faudra que j’aille vérifier)

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