Hergé, « très à droite » ?
Si je n’aime guère les médias, c’est parce que, dans ce domaine, les individus les plus en vue sont invariablement les plus sots, et qu’un de leurs travers consiste à radoter des thèses farfelues, alors même qu’elles ont été démenties depuis des décennies par les véritables chercheurs – qu’on entend beaucoup moins. J’en donne un exemple un peu plus loin, mais relevons, par exemple, et j’en ai déjà parlé, qu’on entend régulièrement de bruyants imbéciles « rappeler » que Néron a mis le feu à Rome, ou que Jeanne d’Arc était une humble bergère qui gardait ses moutons, ou que Jésus était le Christ (UN christ, un messie, c’est un personnage qui est à la fois chef politique et chef religieux, comme le serait par exemple aujourd’hui le roi du Maroc, or Jésus n’a été ni l’un ni l’autre).
Il y a quelques semaines, dans l’émission Le masque et la plume, et à propos du film Le chat du rabbin, on a pu entendre un critique-sic, Xavier Leherpeur, s’en prendre à Hergé, l’auteur de Tintin, et brailler qu’« on en avait marre » de voir qu’on (un autre on, sans doute, sinon la phrase n’avait aucun sens) cherchait sans cesse à raviver la nostalgie du colonialisme – diatribe absurde, motivée par le fait qu’une courte scène du film se passait au Congo !
Cette scie selon laquelle Hergé aurait été un pur facho du fait de son catholicisme (il a débuté dans un journal catholique de Bruxelles, « Le petit Vingtième ») a fait son temps. Cette réputation absurde se fonde sur deux points : d’abord, en 1930, Hergé a publié son tout premier album, Tintin au pays des soviets, dans lequel il fait une satire assez mordante du régime stalinien, mais il faut croire que tous ceux, à commencer par Nikita Krouchtchev, qui ont critiqué ce régime étaient des suppôts de la droite dure. Ensuite, en 1931, Hergé a publié Tintin au Congo, qui contient une scène de pur paternalisme, où les braves Nègres sont traités par Tintin comme des enfants. C’est tout ! Il a d’ailleurs regretté cette scène, mais ne l’a pas supprimée dans les éditions ultérieures : corriger les anciens écrits comme Big Brother faisait corriger les archives des journaux, soit dit en passant, ce fut plutôt le fait de De Gaulle, qui, dans une réédition d’un de ses anciens livres, a inclus un passage où il semblait prédire, avant la Deuxième Guerre mondiale, le rôle que devaient jouer les chars d’assaut pendant ladite guerre. C’est beau, les prédictions a posteriori.
Or, dès l’année suivante, 1932, avec Tintin en Amérique, Hergé tire à boulets rouges sur... les États-Unis, leur Ku-Klux-Klan, leur protectionnisme mis en œuvre en 1929, leur capitalisme et leur certitude d’être the best in the world. Belle conversion, pour un facho ! Mais ce n’est pas fini. En 1936, avec Le lotus bleu, Hergé attaque violemment, à la fois l’Europe qui a imposé l’usage de l’opium aux Chinois (c’était principalement l’Angleterre, et j’en reparlerai), et le Japon, pays colonialiste, impérialiste et précurseur du nazisme. Il truffe d’ailleurs les cases de son album d’inscriptions écrites en chinois et dont on a constaté qu’elles étaient parfaitement correctes et particulièrement violentes envers les Japonais. En 1939, dans Le sceptre d’Ottokar, il s’attaque directement à Hitler et à Mussolini, et baptise « Müsstler » le chef du parti « La garde d’acier », qui veut prendre le pouvoir en Syldavie.
Et ainsi de suite. Bref, tout le reste de l’œuvre montre Hergé comme un humaniste à l’esprit ouvert. Catholique, il ne l’est d’ailleurs pas resté, ce que savent peu de lecteurs.