Il me faut un soutien psychologique !
Un garçon de treize ans est mort aujourd’hui. Il avait été victime d’une altercation avec un camarade de classe plus âgé. Et, comme d’habitude, les journalistes se sont précipités sur les lieux, pour nous rapporter que la population était « sous le choc » et qu’on avait mis en place, dans le lycée du drame, l’inévitable « cellule de soutien psychologique ». En prime, micro-trottoir, on fait parler une dame du quartier, qui elle aussi se déclare « sous le choc ».
Je comprends très bien que les journalistes, qui ne sont pas forcément de grands génies et ne courent pas après l’originalité, s’appliquent tous à employer les mêmes clichés qu’on leur a enseignés. Mais voilà qu’ils contaminent le public, lequel se met à parler comme les journaux. Cette grande avancée de la civilisation médiatique est nouvelle, mais s’explique peut-être par le fait qu’on a dû interviewer une demi-douzaine de personnes, et qu’on n’a retenu, pour la diffuser à la radio, que l’intervention de la seule qui s’exprimait exactement comme l’intervieweur... si on ne lui a pas, tout simplement, soufflé la réponse de la manière habituelle : via une question qui la contenait déjà, du genre « Après ce drame, vous n’êtes pas sous le choc ? ».
Or c’est une imposture : vous n’êtes pas sous le choc chaque fois qu’un évènement tragique se produit dans votre entourage. Le plus souvent, les évènements tragiques ne provoquent rien d’autre que des discussions oiseuses et interminables, des commentaires de Café du Commerce, et la présence de ces envahissants escrocs que sont les psychologues n’est nullement nécessaire. Je suis bien placé pour le savoir : l’une de mes cousines a été retrouvée noyée dans sa baignoire, sans doute assassinée par son amant (on n’a pas pu le prouver), et sa mère n’a eu besoin d’aucun psychologue. Quelques années auparavant, le père de mes deux meilleurs camarades avait lui aussi été assassiné, par erreur a-t-on dit, sans qu’aucun traumatisme ne frappe sa famille et ses amis – pourtant, il était très aimé. Enfin, j’ai fréquenté pendant deux ans une école dont le professeur de musique, un communiste, avait vu son fils de 17 ans, communiste lui aussi, assassiné, sans doute par l’extrême droite, parce que tous deux faisaient beaucoup de prosélytisme. Pas le moindre état de choc constaté dans la ville où chacun les connaissait pourtant très bien.
Mais désormais, nous sommes tous tellement sensibles... Tenez, je sens que j’ai besoin de soutien, subitement.