Il y a Figaro et Figaro !
Au nombre des belles absurdités que l’époque actuelle génère à pleins tonneaux, en voici une spendide : il se pourrait que vous ne soyez plus propriétaire de votre nom, et qu’on vous attaque en justice pour en avoir fait état.
Explication : « Madame Figaro » est un journal hebdomadaire, appartenant au groupe « Le Figaro », et qui fait dans la mode et autres joyeusetés. Un canard tellement sérieux que Stéphane Bern y a chaque semaine ses deux pages de mondanités richement illustrées, c’est dire ! Mais ce nom, Figaro, existe dans la réalité, et il s’est trouvé une dame, Élise Figaro, institutrice parfaitement honorable jusqu’à preuve du contraire, pour mettre sur Internet un blog qu’elle a très légitimement baptisé « La classe de Mme Figaro ».
Tout est normal, penserez-vous, et PUISQUE je m’appelle Yves-André Samère – jusqu’à preuve du contraire également –, on ne m’a jamais cherché des poux dans la tête pour avoir lancé ce modeste bloc-notes. Mais c’est justement ce que n’a pas pensé la direction du journal susdit, qui lui a fait adresser, par l’intermédiaire de ses avocats, une lettre disant que « L’usage de “La classe de Mme Figaro” crée [...] un risque de confusion évident avec les marques antérieures “Madame Figaro” dans la mesure où l’expression est utilisée pour des services similaires ». C’est vrai, ça, le public est si bête qu’il risque de confondre le bloc-notes d’une institutrice avec un hebdomadaire de plus de cent pages sur papier glacé avec des dizaines de photos de mode. Je continue : « Le public est donc amené à croire que ces deux signes ont une origine commune et que “La classe de Mme Figaro” [serait] une déclinaison de la marque antérieure “MADAME FIGARO”, quand bien même il s’agirait de votre nom patronymique, ce qu’il vous appartient néanmoins de justifier ».
Résumons : l’institutice doit PROUVER qu’elle s’appelle bien Figaro, mais, même si elle y parvient, cela n’excuse pas qu’elle se fasse passer fallacieusement pour le canard de monsieur Dassault.
Comme toujours, la direction du journal, désormais couverte de ridicule, a rejeté la responsabilité de la bévue sur ses avocats (« C’est pas moi, c’est l’autre ! », comme on dit dans les cours de récré). Effrayée, la pauvre femme a cédé : elle a renommé son blog « Les Chantiers de l’apprentissage »...
Mais le plus beau, c’est que « Le Figaro » s’est trompé : l’article 713-6 du code de la propriété intellectuelle précise que « L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire [...] lorsque cette utilisation est le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique ». Donc les avocats du « Figaro » sont des brêles. À la place de la dame, on traînerait « Le Figaro » en justice pour procédure abusive. Ça existe, figurez-vous !
(NB : mon petit doigt me dit que Le Petit Journal ou les Guignols, ce soir ou demain, vont sauter sur cette magnifique occasion. Et, bien entendu, « Le Canard » dans six jours)