Jérôme Garcin, danseur mondain
Les personnes qui écoutent Le masque et la plume le dimanche soir sur France Inter (c’est l’émission la plus ancienne de la radio, puisqu’elle a été créée en 1955 !) n’ont pas pu rater le courrier des auditeurs, qui se place au début de l’heure, et qui fourmille d’absurdités. Parmi celles-ci, on note en cette saison, l’été, les compliments de plusieurs naïfs, qui remercient et félicitent les participants de continuer à rendre compte des films, livres et pièces de théâtre au moment où toutes les autres émissions sont en vacances.
Eh bien, je ricane méchamment. Prenez par exemple l’heure où l’on traite les livres, et qui revient toutes les quatre semaines. Il s’ensuit que les quatre critiques qui y font leur numéro viennent travailler à la Maison de la Radio une heure par mois ! Énorme. On voit le sacrifice que cela représente, d’interrompre ses vacances pour venir parler une heure à la radio toutes les quatre semaines (et encore, on oublie que ce ne sont pas les mêmes qui reviennent d’une fois à l’autre, donc leur présence est encore moins fréquente).
Et puis, il y a le meneur de jeu, Jérôme Garcin, qui a pris ce poste en 1989, remplaçant alors Pierre Bouteiller, un homme d’esprit qui n’a jamais été égalé. Ce danseur mondain – je parle de Garcin – est obsédé par une idée : il ne faut pas raconter la fin (des films, des livres, des pièces), de peur de « choquer » les auditeurs qui attachent davantage d’importance à l’anecdote qu’au style. Or, dans l’émission sur les livres diffusée dimanche dernier, il a raconté la fin du livre, Central Park, d’un écrivain qu’il dédaigne, Guillaume Musso (mais alors, pourquoi mettre son livre au programme ?). En effet, il a commencé sa présentation du roman en disant que l’intrigue lui rappelait le film de Martin Scorsese Shutter Island. Évidemment, cela flanque le suspense par terre, puisque chacun sait que Shutter Island – le roman et le film – raconte une histoire qui ne s’est jamais passée, sinon dans l’imagination d’un personnage qui, à l’épilogue, se révèle un fou assassin. Un peu comme dans ces films des années trente et quarante, où l’on assistait au déroulement de péripéties extraordinaires, mais à la fin, on concluait par « Mais tout cela n’était qu’un rêve ». Une belle escroquerie scénaristique...
Garcin fait partie de ces personnalités qui « ont la carte », c’est-à-dire que toutes ses activités reposent sur le copinage, et il possède « plusieurs casquettes », comme on dit quand on est journaliste – c’est-à-dire, quand on se livre à la culture intensive du cliché. En effet, outre son poste de producteur et animateur à la radio, il est romancier, et aussi directeur adjoint de la rédaction du « Nouvel Observateur ». Par le plus grand des hasards, plusieurs des critiques de son émission sur France Inter... sont aussi journalistes au « Nouvel Observateur ». Et, comme romancier, Jérôme Garcin a reçu, le 5 juin 2008, un prix littéraire, le prix Duménil, créé par Alain Duménil, PDG du groupe de luxe Alliance Designers, propriétaire de la société immobilière Acanthe Developpement, et à la tête d’une fortune de 468 millions d’euros. Ce prix était accompagné d’une somme de 60 000 euros (je dis bien « soixante mille »), qui donc sont tombés dans la poche de Jérôme Garcin. Mais le plus rigolo est ici : le jury du prix Duménil, décerné à l’hôtel Montalembert, un hôtel de luxe à Saint-Germain-des-Prés, était composé de trois journalistes appartenant à un groupe, celui du « Figaro », et d’un cinéaste, Pascal Thomas, dont on se demande ce qu’il faisait là puisqu’il n’est pas écrivain, mais dont Le masque et la plume a toujours dit grand bien, ce qui est certainement un autre hasard. Les trois journalistes sont Stéphane Denis, éditorialiste au « Figaro », chroniqueur littéraire au « Figaro Magazine » et romancier ; Marc Lambron, critique littéraire au « Figaro Madame », au « Point » et romancier ; et Éric Neuhoff, critique de cinéma au « Figaro », critique littéraire au « Figaro Madame », romancier, alors candidat à l’Académie française, à cette époque chroniqueur au Fou du roi sur France Inter, et... critique de cinéma dans l’émission de Garcin sur France Inter, Le masque et la plume !
Le monde est bien fait, non ?