La « civilisation » grecque
Nos humanistes modernes ont coutume de se réclamer de deux civilisations n’ayant rien voir entre elles : la judéo-chrétienne, et la démocratie athénienne.
Passons sur la civilisation judéo-chrétienne, on s’en occupera un autre jour, car elle a la vie dure. Mais pour ce qui est de la démocratie athénienne, permettez-moi de me tapoter le menton.
Pas si sympathique que cela, la civilisation grecque. Certes, elle a eu ses artistes, ses philosophes, ses politiques, ses législateurs, etc. Mais enfin, vue avec nos lunettes d’aujourd’hui, elle me paraît un peu lepéniste sur les bords (ne prenez pas garde à l’anachronisme, je le fais exprès). À la grande époque de l’Antiquité grecque, était considéré comme « barbare » tout individu qui ne parlait pas le grec : en gros, tout le monde, sauf les Grecs. Il a fallu attendre qu’Alexandre III, dit le Grand, sorte de sa Macédoine pour se lancer dans une expédition interminable (où il a trouvé la mort) pour commencer à constater que les fameux Barbares possédaient eux aussi une forme de civilisation qui valait bien la grecque, et parfois la dépassait. Cette constatation, du reste, n’a pas servi à grand-chose dans l’immédiat, parce qu’Alexandre, au demeurant fort intelligent, d’une part, est mort avant d’en faire profiter son propre pays, et d’autre part, était un affreux sagouin, doublé d’un impérialiste acharné, doté d’une vanité démesurée (toutes les villes qu’il fondait au cours de son périple, il les baptisait Alexandrie), affublé, pour couronner le tout, de cette douce manie : faire mettre à mort, après torture, tout individu qui contestait si peu que ce fût son pouvoir... qu’il pensait divin. S’il avait pu rentrer vivant dans son pays, il eût fait mettre à mort Aristote, qui avait été son précepteur, mais commençait à mettre en doute sa capacité de jugement.
L’autre aspect antipathique de la civilisation grecque est tout à fait banal, et nous a semblé si admirable qu’il s’est transmis chez nous intact, au point qu’on n’y a mis fin qu’après 1945 : les femmes étaient des individus de seconde zone, et n’avaient évidemment pas le droit de vote (l’Arménie, la Mongolie, la Turquie, les Maldives, Cuba, la Birmanie, les Philippines et pas mal d’autres l’ont eu avant nous !). Elles ne valaient donc pas beaucoup plus que les esclaves. En somme, le « citoyen » grec était un homme, parlant le grec, et surtout un homme libre.
Tout cela colore la démocratie athénienne d’une teinture à la tonalité légèrement repoussante.