Le droit d’auteur, selon Godard
Obsèques de Claude Chabrol aujourd’hui. Ne survit de la Nouvelle Vague, en fait, que Jean-Luc Godard, le seul qui, voulant tout bouffer du cinéma d’avant, a conservé toutes ses dents. Tous les autres se sont embourgeoisés.
Comme ici je ne parle jamais de cinéma, ce n’est pas à ce propos que j’écris cela. Ce qui m’intéresse, c’est que Godard est l’un des rares artistes qui, non seulement défend les pirates sur Internet, mais a même envoyé mille euros à l’un d’entre eux, James Climent, condamné en 2007 à 20 000 euros de dommages et intérêts pour avoir téléchargé et laissé en téléchargement illégal plus de 13 000 fichiers musicaux. Or Climent, qui a épuisé tous les recours en France, s’est tourné vers la Cour européenne des droits de l’homme, mais n’a pas les moyens de payer son avocat. Il a donc fait un appel aux dons, et Godard lui a envoyé mille euros, lui expliquant qu’il a décidé de le soutenir après avoir lu son histoire dans un article de « Libération », en août dernier. Cohérent, Godard. En effet, lors du dernier festival de Cannes, le cinéaste s’est proclamé hostile à la commission Hadopi, mais il a fait mieux : il a estimé qu’il n’y avait pas de propriété intellectuelle, et qu’un auteur n’avait pas de droits – uniquement des devoirs. Précisons un peu : s’il est normal, selon lui (et selon moi, mais il s’en fiche), que les enfants d’un artiste célèbre et riche bénéficient de l’argent de leur père jusqu’à ce qu’ils soient eux-mêmes en mesure de gagner leur vie, il est illégitime qu’ils continuent à en bénéficier lorsqu’ils sont adultes et en mesure de vivre de leur travail. Ça, c’est du parasitisme.
Ce point de vue devrait s’étendre aux droits d’auteur, que continuent de percevoir, jusque soixante-dix ans après la mort de l’artiste, ses héritiers, baptisés « ayant-droits ». Si l’on y réfléchit, pourquoi ce privilège, qui les dispense de toute activité utile à la société ? Et leur permet, souvent, de mettre l’embargo sur les œuvres, et de faire interdire leur libre diffusion ou leur simple adaptation, au théâtre ou ailleurs ! On l’a suffisamment vérifié avec la veuve d’Hergé, ou celle de Stanislas-André Steeman, auteur du livre qui a inspiré le grand film de Clouzot, Quai des Orfèvres, parce qu’un journal avait écrit que le réalisateur avait fait « un chef-d’œuvre à partir d’un mauvais roman », ce qui n’était pas faux. Vengeance de femme... De même, on ne reverra pas Falstaff, le film d’Orson Welles, parce que la veuve du producteur Alexander Salkind y est opposée. Il va falloir attendre qu’elle meure, en espérant que ses héritiers seront moins obtus.
Comme l’écrivait André Roussin dans sa pièce Les glorieuses, « lorsqu’un général meurt, est-ce que l’on confie ses troupes à sa veuve ? ».