Le « neveu » de Napoléon
Cette semaine, « Le Canard enchaîné », dans son article Napoléon III plus très Bonaparte (page 1), a fait écho à la déclaration du professeur Lucotte, historien, selon laquelle Napoléon III ne serait nullement le neveu de Napoléon Ier. À ceux qui s’étonneraient de cette bouleversante révélation, je répondrai que l’hypothèse a déjà été soutenue il y a une bonne quarantaine d’années par l’historien Jean Savant, qui a beaucoup écrit sur Napoléon, et qui publiait Les cahiers de l’Académie d’histoire, dont j’ai une modeste collection. Cette hypothèse, en voici la teneur.
Pas encore empereur, Napoléon Ier avait épousé Marie Josèphe Rose Tascher de la Pagerie, qu’il avait surnommée Joséphine. Or Joséphine avait été mariée avec le vicomte Alexandre de Beauharnais, et en avait eu deux enfants, Eugène et Hortense. En 1802, toujours pas empereur, Bonaparte, qui avait adopté lesdits enfants, obligea Hortense à épouser son frère Louis Bonaparte, qu’il plaça plus tard sur le trône de Hollande. Hortense eut deux enfants, Louis-Napoléon, futur Napoléon III, et Auguste Demorny (illégitime, fils du fils lui aussi illégitime de Talleyrand), plus tard fait duc de Morny par son demi-frère devenu à son tour empereur.
Hortense n’aimait pas son mari, qui avait un sale caractère, et, lorsqu’il fut devenu roi, elle n’aima pas non plus le climat de la Hollande. Double conséquence : elle trompa abominablement son époux, et passa son temps en villégiature sous des climats plus sereins, avec une préférence pour Biarritz.
Naturellement, en reine qu’elle était, elle emmenait partout avec elle une cour composée d’admirateurs, d’amis... et d’amants. Et il se trouve qu’au moment présumé de la conception du futur Napoléon III, elle était bien loin de son mari (certains, qui tentent de se raccrocher aux branches, prétendent qu’ils se sont rencontrés à Toulouse à cette époque), et que celui-ci ne peut donc pas avoir été le père de ce dernier ! Il refusa d’ailleurs de reconnaître l’enfant, et ne céda que sur l’ordre de son empereur de frère, qui voyait se pointer un scandale carabiné.
Jean Savant, dont j’évoque ici les recherches, trouva, dans l’entourage d’Hortense, un père plausible pour Louis-Napoléon, un noble hollandais très distingué, Anatole Charles Alexis, marquis de La Woestine (1786-1870), sénateur de l’Empire en 1812, et dont les portraits montrent qu’il ressemblait étonnament au futur Napoléon III. C’était l’un des favoris d’Hortense, et sans doute un peu plus.
Il s’ensuit que Napoléon III n’avait aucun lien de parenté avec Napoléon Ier, ni par son père ni par sa mère, en dépit de la pieuse version officielle.