Les bobards au cinéma
Ce matin, une cinéphile, qui fréquente l’une de mes salles habituelles et que je croise au moins une fois par semaine, me faisait remarquer qu’en matière de cinéma, je suis assez exigeant. C’est sans doute vrai, mais je suis surtout sévère envers deux catégories de cinéastes : les amateurs et les imposteurs.
Passons sur les amateurs, ces innombrables débutants qui, en France, et grâce à la subvention quasiment automatique du Centre national du Cinéma, font leur premier film, mais... n’en feront jamais un deuxième, car ils n’ont pas appris leur métier, donc ont produit une bouse qui a fini dans un placard à balais dès la deuxième semaine et ne sera même pas vue à la télévision.
Pour les imposteurs, c’est plus subtil, car 99 % des spectateurs se laissent prendre. Aussi vais-je donner un exemple concret.
Le 25 avril 2007 est sorti un « documentaire », We feed the world, réalisé par un Autrichien, Erwin Wagenhofer, et distribué un an et demi plus tôt dans son pays. La publicité de ce film reposait sur le laïus suivant : « Chaque jour à Vienne, la quantité de pain inutilisée, et vouée à la destruction, pourrait nourrir la seconde plus grande ville d’Autriche, Graz... » (passons aussi sur l’emploi saugrenu de l’adjectif seconde, quand il faudrait deuxième).
Bien entendu, cette affirmation bien-pensante n’a été remise en question par aucun journal : on ne doute jamais des inepties à couleur humaniste. Et si on vous raconte que, toutes les six secondes, un enfant meurt de faim dans le monde, vous le croyez, alors que c’est un bobard (c’est toutes causes comprises qu’un enfant meurt toutes les six secondes : maladies, guerres, accidents, mauvais traitements, etc.).
Il se trouve qu’un mal élevé s’est donné la peine de chercher un peu si la pub de ce film tenait debout : devinez qui. Et ce malveillant a trouvé, facilement d’ailleurs, que la ville de Vienne comptait 1 700 000 habitants, alors que celle de Graz en comptait 287 000. Rapport : 5,9 – bref, disons 6. Les restes de six habitants SUFFISANT à en nourrir un septième ? Essayez d’imaginer la situation, et concluez vous-même...
Comme on dit, plus c’est gros, mieux ça passe. Et, avec ce genre de film, un mois ou un an plus tard, on découvre que le beau slogan était un mensonge éhonté. Mais trop tard, le film a fait le plein de spectateurs convaincus d’avance.