Les dérives de l’Hadopi
On sait que la commission Hadopi, chargée de réprimer le piratage sur Internet, ne nous surveille pas elle-même, mais qu’elle a chargé, de cette mission d’espionnage, une société privée, basée à Nantes, Trident Media Guard, alias TMG, dont l’actionnaire majoritaire est l’acteur Thierry Lhermitte.
Déjà, c’est un peu fort, car cet homme, qui a des intérêts (privés) dans le cinéma, possède ainsi une société dont la seule fonction est d’espionner des citoyens qui téléchargent, entre autres, des films de cinéma – y compris les siens. Il est par conséquent surprenant que l’État ne perçoive pas que cette « double casquette », comme on adore le dire dans les journaux, le rend à la fois juge et partie.
Mais cette affaire recèle d’autres aspects « surprenants », pour rester poli.
D’abord, et faute de pouvoir distinguer un téléchargement illégal d’un téléchargement légal, puisque cela existe aussi, la loi créant l’Hadopi a imaginé un délit original : le « défaut de protection » [sic]. En clair, on ne réprime pas le fait d’importer sur son ordinateur un fichier pris chez quelqu’un d’autre, on réprime au contraire le fait de n’avoir pas empêché autrui de se servir chez vous ! Un peu comme si, à la suite d’un cambriolage, on poursuivait la personne qui s’est fait cambrioler, pour n’avoir pas installé chez elle un système de protection ! Ubuesque…
Ensuite, l’Hadopi a choisi la société TMG, mais elle ne la contrôle pas. Ainsi, TMG peut fournir à l’Hadopi un rapport disant en subtance ceci : « Tel jour, à telle heure, l’ordinateur identifié par l’adresse aaa.bbb.ccc.ddd a laissé prélever sur son disque dur le fichier tartempion.mp3 ». L’Hadopi demandera ensuite, au fournisseur d’accès de l’ordinateur désigné, de lui fournir tous les renseignements concernant le propriétaire de l’ordinateur, et de lui envoyer un message électronique l’avertissant qu’il a été pris sur le fait ; mais elle refuse de transmettre aux justiciables ainsi avertis le procès-verbal constatant l’infraction ! En résumé, nous sommes obligés de contrôler notre ordinateur, mais l’Hadopi n’est obligée, ni de contrôler TMG (et, en effet, elle ne le fait pas), ni de fournir la preuve que vous avez commis un délit ! Donc, si TMG commet une erreur en communiquant votre adresse alors que vous êtes parfaitement innocent, c’est à vos dépens, et vous n’avez aucun recours.
C’est si vrai qu’il y a eu des kyrielles de plaintes occassionnés par ce genre d’erreur. Au point que, cette semaine, la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), qui avait critiqué le choix de TMG mais avait néanmoins donné son feu vert sans qu’aucun des audits prévus par la loi ait jamais eu lieu, hors celui – unique –, de la phase de test (!), annonce qu’elle va se rendre à Nantes afin de contrôler TMG, et qu’un représentant de l’Hadopi sera du voyage. Pas trop tôt ! En attendant, l’Hadopi a suspendu provisoirement ses liens avec cette très suspecte société privée. Mais si des erreurs sont effectivement constatées, est-ce que TMG dédommagera les innocents importunés à tort ?