Les théâtreux au cinéma
Comme il faut avoir des règles, je me suis fixé celle, notamment (il y en a d’autres : pas d’images, pas de son, pas de vidéos), de ne pas parler ici de cinéma, puisque je le fais ailleurs. Je ne vais tout de même pas me faire concurrence ! Cela étant, je ne parle pas de cinéma, mais je peux parler des acteurs, et, de temps en temps, glisser un mot gentil sur cette profession que j’adore, vu la modestie et la bienveillance confraternelle de ceux qui la pratiquent. Et, à tout seigneur tout honneur, flinguer ceux qu’on qualifie bêtement de stars, parce que le mot vedettes, ça fait trop provincial, convenez.
Mardi soir, j’ai vu à la télé un film classique d’Arthur Penn, Le gaucher (titre original, The left-handed gun, autrement dit, « L’arme à feu tenue de la main gauche » – soyons simples). Il s’agissait d’une biographie très romancée de Billy le Kid, un voyou du dix-neuvième siècle aux États-Unis, qui n’en manquaient certes pas, et que le cinéma de là-bas a copieusement idéalisés. C’était, en 1958, le premier film d’Arthur Penn, qui fut un artisan habile, jouit d’une excellente réputation auprès des cinéphiles, et récidiva en 1967 avec Bonnie et Clyde, autre film sur des voyous, mais en couple cette fois, écrit par deux scénaristes qui le destinaient à... François Truffaut, et prière de ne pas rire. Son film est plutôt lyrique, bourré d’erreurs bien entendu, à commencer par son titre (aucun western n’est réellement fidèle à la réalité, qui fut loin de ressembler à ceux de John Ford), mais beau à voir. Et Billy était joué par Paul Newman, que TOUT LE MONDE admire comme un grrrrand acteur.
Or, que voit-on sur cette pellicule ? Nous voyons un zigoto très maniéré, qui se tortille dans tous les sens dès qu’il a une réplique à dire, parle à ses partenaires en leur tournant le dos, grimace, tord la bouche et lève les yeux au ciel toutes les trente secondes. Explication : Newman, d’ailleurs trop âgé pour le rôle (il avait trente-trois ans lors du tournage, or Billy est mort à vingt-deux ans), croyait exprimer ainsi les tourments psychologiques de son personnage, et qu’un type qui souffre intérieurement, cela doit se voir sur sa figure, n’est-ce pas ? On apprenait cela dans l’école d’art dramatique d’où il sortait, le célébrissime Actor’s Studio, que dirigeait Lee Strasberg, et qui a généré des quantités de mauvais comédiens de théâtre, parmi lesquels je me fais un devoir de citer James Dean et Marlon Brando pour les plus connus. Je précise d’ailleurs que c’est James Dean qui devait jouer le rôle, mais il s’était tué en voiture et fut remplacé par Newman, qui le joua comme aurait fait Dean, c’est-à-dire mal.
Tout cela vient de ce que l’Actor’s Studio visait à former des acteurs de théâtre, et que le théâtre, ce n’est pas le cinéma. Au théâtre, il n’y a pas de gros plan, et les acteurs sont obligés d’exagérer leurs mimiques et mouvements pour qu’à distance le public les perçoive. La sobriété, au théâtre, cela ne paye pas, et les acteurs qui transposent au cinéma leur comportement du théâtre montrent qu’ils n’ont rien compris au métier. Alfred Hitchcock, d’ailleurs, se moquait d’eux sans cesse, et lorsqu’un acteur lui demandait un conseil sur la façon de jouer telle scène devant la caméra, il lui répondait, par exemple : « Eh bien, vous entrez par cette porte, vous traversez la pièce, et vous sortez par la porte en face ». Mais allez dire une telle horreur à Jeanne Moreau !
Marlon Brando fut le pire de tous. Revoyez-le dans Apocalypse now, qui ressort ces jours-ci en Bluray, ou dans Reflexions in a golden eye, qui passe à la télévision assez souvent ! Fou-rire garanti. Un critique avait écrit de lui qu’il commençait une phrase à Pâques et la terminait à la Pentecôte, tant il imprégnait son interprétation d’un tas d’inepties pour faire comprendre au public tout ce que lui-même croyait avoir compris sur le personnage. Évidemment, ça lui prenait... un certain temps, comme aurait dit Fernand Raynaud. S’il avait dû jouer Peer Gynt ou Le soulier de satin, la représentation aurait duré trois jours.