« Looser » ou « loser » ?
Il est réjouissant, pour un (très humble) scripteur de lignes inégales comme votre serviteur, de dénicher des indices d’inculture chez des personnages considérables, faisant métier d’écrire et d’informer les masses, ayant pignon sur rue, titulaires d’une bibliographie copieuse, et, accessoirement, l’un, directeur adjoint d’un hebdomadaire politique comme « Marianne », et l’autre, PDG du même.
Je suis en train de lire Off, petit livre publié cette année par Nicolas Domenach et Maurice Szafran, qu’on vient de ressortir en édition de poche – sans quoi je ne l’aurais pas acheté, les livres ne se trouvant pas sous le pas d’un cheval, et les chevaux, de plus, étant rares dans mon quartier. Ce bouquin est essentiellement composé d’indiscrétions, confiées en off – c’est-à-dire avec consigne de non-divulgation – aux deux auteurs par Nicolas Sarkozy, personnage dont vous avez peut-être entendu parler. Le off repose sur une entente tacite entre une célébrité et les journalistes : cela consiste, pour ces derniers, à ne pas répéter les confidences que la célébrité leur a faites, sous peine d’en être privés à l’avenir s’ils violent cette règle.
Donc, messieurs Domenach et Szafran violent délibérément la règle, et publient ce que Sarkozy, au fil des années, leur a dit, croyant qu’ils garderaient tout cela pour eux. C’est le summum de l’élégance, ils le savent, s’en justifient platement dans leur premier chapitre intitulé Pourquoi, et passent outre.
Je ne vais pas porter sur le procédé un jugement moral, car au fond je m’en fiche : chacun fait son beurre comme il l’entend, et il y a longtemps que je ne me fais plus d’illusions sur la corporation journalistique. Non, ce qui m’a fait tomber en arrêt, c’est de prendre en flagrant délit d’ignorance des donneurs de leçon, alors que je ne suis rien et que ces messieurs sont tout ; un peu comme si Justin Bieber pointait une fausse note chez Roberto Alagna ; si Frédéric Diefenthal faisait remarquer que Michel Bouquet joue L’avare comme un pied ; ou si Marc Lévy critiquait le style de Vladimir Nabokov. Bref, à la page 58 de Off, les auteurs qualifient Chirac de « looser », sorte de « benêt avec de la paille dans les sabots et du persil derrière les oreilles ».
Certes, je ne vais pas prendre la défense de Chirac, mais cet emploi du mot looser me chiffonne, car c’est un mot qui… n’existe pas ! Lorsqu’on veut traiter quelqu’un de « perdant », c’est loser qu’il faut employer, pas looser…
En anglais, le verbe perdre se dit to lose, avec un seul « o ». Certes, le verbe to loose avec deux « o » existe, mais il ne signifie pas du tout la même chose, puisque to loose, c’est libérer, délier, relâcher, et, dans une autre acception, tirer. Rien à voir avec l’idée de perdre. Quant au nom looser, comme dit plus haut, il n’existe tout simplement pas : aucun dictionnaire ne le mentionne.
Ce genre d’accroc revient régulièrement dans les forums sur Internet. Mais le débusquer dans un livre écrit par des gens a priori cultivés, c’est un régal. Car il indique cette évidence, qu’occuper une position en vue ne fait pas de vous un oracle.