Ne dépoussiérez plus !
Je suis plutôt défavorable à cette entreprise de modernisation des grands textes classiques que leurs entrepreneurs qualifient si joliment de « dépoussiérage ». C’est élégant. Si Molière, Shakespeare, Conan Doyle ou Feydeau étaient poussiéreux, le public s’est serait aperçu depuis longtemps.
En général, ce dépoussiérage consiste à modifier l’époque de l’action tout en conservant le dialogue d’origine (le plus souvent), et je crois avoir expliqué, il y a trois mois, en quoi cette méthode ne marche absolument pas. Néanmoins, on vous opposera cet argument imparable : au moment où ces œuvres ont été créées, elles étaient forcément modernes, et donc, par conséquent, le langage, les décors et les costumes correspondaient obligatoirement à ce qui était la norme de ce temps.
Sans doute, mais il y a des détails qui ne collent plus. Par exemple, dans Tartuffe, cet imbécile d’Orgon déshérite toute sa famille au profit de l’escroc. Impossible aujourd’hui, les lois ont changé et, en France du moins, on ne peut déshériter ses enfants. La pièce ne peut donc se dérouler à notre époque, et toute tentative de l’y adapter est vouée au bide artistique. On ne peut non plus transposer Cyrano de Bergerac au vingt-et-unième siècle, les duels n’existent plus et le siège d’Arras apparaîtrait saugrenu. Et dans Le misanthrope, une lettre de Célimène à Clitandre désigne Alceste comme « l’homme aux rubans verts ». Si vous adaptez la pièce et faites revêtir un smoking aux personnages masculins, comme cela s’est fait, où casez-vous ces rubans verts ?
En fait, quand on adapte une œuvre du passé, la seule manière de le faire consiste à TOUT changer, notamment le dialogue. La meilleure adaptation de Roméo et Juliette, par exemple, a été celle de Robert Wise et Jerome Robbins qui, avec West side story, ont transposé la pièce dans le New York d’aujourd’hui et remplacé les nobles de Vérone par deux groupes de jeunes délinquants des bas quartiers. Également, la meilleure réactualisation des aventures de Sherlock Holmes reste cette transposition de la télévision britannique, Sherlock, dont la troisième saison sera bientôt diffusée, et qui se passe aujourd’hui, avec des personnages rajeunis et qui ne communiquent plus par télégrammes, comme au dix-neuvième siècle, mais se servent de smartphones et roulent en taxis. Le résultat est d’une intelligence qui n’étonne pas de la part de la télévision britannique, la meilleure du monde avec les chaînes privées HBO et Showtime, aux États-Unis.
Eh oui, il y a des auteurs intelligents, à la télé !