Origine de la colonisation en Algérie
Roland Bacri est mort le 24 mai, à l’âge de 88 ans, « Le Canard » de cette semaine l’annonce. Il était connu pour avoir produit davantage de calembours que deux autres anciens piliers du « Canard », Alexandre Breffort et Jean-Paul Grousset réunis, et c’est lui assura, quelque temps, la rubrique À travers la presse déchaînée.
On raconte qu’il avait d’abord écrit au journal pour se faire embaucher, et que, le jour de 1953 où il se présenta, il dit simplement au directeur « Je suis Roland Bacri », à quoi son futur patron répliqua sobrement, en montrant les lieux (un petit appartement au 2 rue des Petits-Pères) : « Et voici “Le Canard” ! ». Il y est resté plus de quarante ans.
Bacri racontait volontiers, notamment dans son livre Les rois d’Alger (publié chez Grasset en 1988), qu’il descendait de cet autre Bacri, lequel fut à l’origine de la conquête de l’Algérie. On a enseigné à tous les écoliers de France que cette affaire a été provoquée par un coup d’éventail que le Dey d’Alger avait donné au consul de France, ce qui justifiait bien sûr d’envahir le pays entier, et de le soumettre. En réalité, l’histoire est un peu plus compliquée.
Au départ, c’est-à-dire en 1797, deux négociants juifs algériens, Bacri et Busnach, détenaient le monopole du commerce des céréales à Alger, et avaient fourni à la Première République française un gros stock de blé, que la France avait un peu oublié de leur payer (il y en avait pour quatorze millions). En 1815, la dette restait impayée, si bien qu’en 1818, le Dey d’Alger, un certain Hussein – eh oui, Hussein Dey, cela doit bien vous dire quelque chose –, auquel Bacri et Busnach devaient de l’argent, réclama cette somme à Louis XVIII. Or le gouvernement de la Restauration, qui sans doute ne désirait pas régler les dettes de la République, avait intégré ladite dette dans la liquidation générale qu’il avait entreprise, et un accord de 1819 avait fixé le règlement à sept millions de francs. Mais, en 1826, rien n’était encore payé, et Hussein écrivit de nouveau, à Charles X cette fois, pour se plaindre que les choses traînaient en longueur – on comprend ça. Il n’eut aucune réponse...
Il faut dire que Bacri avait lui-même des dettes, et ses créanciers – dont le Dey d’Alger en personne, je vous le rappelle –, voulant se payer sur ce que la France devait aux deux commerçants algérois, avaient fait opposition aux paiements de la part des Français. Et le Dey insistait véhémentement pour que les Français paient enfin ce qu’ils devaient !
Bien entendu, le gouvernement français, déjà honnête comme un vrai Cahuzac, traînait les pieds, et avait ordonné à Deval, le consul de France à Alger, de lui faire « prendre patience ». Si bien que le 29 avril 1827, l’entrevue entre le consul et le Dey tourna au vinaigre, et ce dernier donna au diplomate le fameux coup d’éventail, qui provoqua la rupture des relations diplomatiques, puis le blocus d’Alger, puis le débarquement à Sidi-Ferruch (une plage à l’ouest d’Alger, là où Camus situe le meurtre d’un Arabe par le narrateur dans son roman L’étranger), ce qui nous valut la glorieuse colonisation que vous savez, et qui s’est si bien terminée.