Père / papa, mère / maman
Alain Rey, qui préside aux destinées du dictionnaire Robert, vous le dirait : il faut que la langue évolue ! Pour quelle raison, je n’en sais rien, mais c’est un dogme. Moyennant quoi, et puisque Michel Drucker a réussi à imposer aux foules le langage de bébé qui est le sien en public – en privé, je ne sais pas, je ne le fréquente pas et ne l’ai croisé qu’une fois –, prenons-en notre parti, et faisons tous comme lui.
Vous avez deviné que je vise cette manie de parler aux gens de leur maman et de leur papa, fût-ce en s’adressant à des octogénaires. À la trappe, les mots père et mère, devenus évidemment obscènes.
C’est pourquoi je suggère qu’on officialise la chose, et qu’on fasse quelques modifications dans notre culture. Commençons par les œuvres littéraires : il est temps que Balzac soit « dépoussiéré », comme on dit, et que son roman Le père Goriot devienne Le papa Goriot. Quant à Bertold Brecht, il n’objectera rien si on rebaptise sa pièce Mère Courage en Maman Courage. Et puisqu’on a pris la navrante habitude de parler d’Alexandre Dumas père pour désigner l’auteur de La reine Margot, il est opportun d’enfin changer la donne et de parler d’Alexandre Dumas papa. Il est tout aussi fâcheux que Cicéron ait considéré Hérodote comme le père de l’Histoire, alors que le papa de l’Histoire convient beaucoup mieux à nos habitudes actuelles. Et pourquoi diable, dans sa pièce Ubu roi, Alfred Jarry fait-il dire à ses personnages que c’est le père Ubu ? Ridicule ! Le papa Ubu serait bien plus sympathique ! Et le film Le père de la mariée... Mais vous avez compris.
Sur le plan religieux, il y a tout à faire, à commencer par le slogan attaché au signe de croix : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ». Je trouve que « Au nom du Papa », cela sonne mieux. Modifions aussi la Bible, et ne laissons plus Jésus raconter qu’il est envoyé par son Père pour sauver les hommes, c’est lassant. S’il s’était incarné sur l’ordre de son Papa, il serait plus humain. Quant à Marie, qui passe couramment pour la sainte mère de Dieu, qu’elle devienne enfin la maman de Dieu, ce sera plus maternel ! De même, à Rome, plus de saint père, obtenons que la prochaine élection soit celle du saint papa. Cessons de nous adresser à notre curé en lui donnant du « mon père », et osons « mon papa ». Dans les congrégations de religieuses, la supérieure s’entendra appeler « ma maman », plutôt que « ma mère », cela resserrera les liens.
Je vous laisse trouver d’autres équivalences, vous ne devriez pas avoir trop de difficulés. Tenez, si vous habitez dans la région de Marseille, je connais une certaine basilique qui pourrait changer de nom.
(Je vous ferai remarquer que Tino Rossi, avec sa chanson la plus sirupeuse, Petit papa Noël, a montré le chemin. Un précurseur, ce Tino)