Pourquoi « Deveraux » ?

Publié le par Yves-André Samère

Deveraux, ce nom que le film Welcome to New York attribue au personnage joué par Gérard Depardieu – ce qui, au passage, fait qu’il n’apparaît plus comme juif –, ce nom ne vient pas de nulle part. En réalité, il se trouvait déjà dans un roman de Léon Uris et dans un film qui en a été tiré, Topaz. Cela mérite une petite explication.

Au temps où De Gaulle était président de la République, le patron des services secrets français aux États-Unis s’appelait Philippe Thyraud de Vosjoly. Il était très ami avec ses collègues états-uniens, et ne rechignait pas à leur repasser des renseignements, ce qui agaçait De Gaulle au plus haut point. De sorte que celui-ci, qui détestait les États-Unis en général autant qu’il détestait Dwight Davidson Eisenhower, le Grand Manitou du Débarquement de juin 1944, devenu président des États-Unis et qui l’avait empêché de débarquer en Normandie, démit Thyraud de ses fonctions en 1963. Thyraud ne rentra pas en France, il resta sur place, mais j’ignore quelles furent ses nouvelles occupations (je suis toujours très mal renseigné, comme vous le savez).

Or les services secrets des États-Unis, très agacés de ce bâton dans leurs roues que De Gaulle avait glissé, décidèrent de lui rendre la monnaie de sa pièce. Ils sollicitèrent alors les services d’un écrivain connu, Léon Uris, l’auteur du célèbre Exodus, et lui commandèrent un roman destiné à discréditer un peu le gouvernement de la France. Ce roman, ce fut évidemment Topaz. Le thème en était le suivant : un espion soviétique travaillait dans l’entourage immédiat du général-président De Gaulle, et transmettait au gouvernement moscovite tout ce qu’il avait pu en apprendre. En somme, la France, sans le savoir et à son corps défendant, faisait ainsi parti du bloc soviétique. Pure calomnie, bien entendu. Quoique... Il y avait bien eu un espion soviétique, nommé Georges Pâques, lequel fut démasqué après les révélations d’un transfuge soviétique, Anatoliy Golitsyne, un major du KGB.

Le roman fut écrit, il n’était pas mauvais car Uris était un bon écrivain, mais aucun éditeur français n’accepta de le traduire et de le publier. Il fut donc traduit en français au Québec, et publié sur place. En France, à l’époque, le roman n’est pas sorti, donc on peut douter que beaucoup de Français l’aient lu. Pour ma part, je possède un exemplaire trouvé au Maroc, dans une librairie de Rabat.

L’histoire ne s’arrête pas là, puisqu’on décida d’en tirer un film. Et, ô surprise, ce fut Alfred Hitchcock qui accepta la proposition. Le film fut titré comme le livre, Topaz, et sortit en France – car on ne pouvait tout de même pas censurer Hitchcock –, mais les distributeurs français, craignant la confusion avec le Topaze de Marcel Pagnol, le rebaptisèrent platement L’étau, et, dans le dialogue, le réseau Topaz (qui, dans la réalité, était le réseau Saphir) devenait le réseau Opale – une pierre précieuse pour une autre. Le film fut tourné partiellement à Paris, avec des acteurs français, Michel Piccoli, Philippe Noiret, Dany Robin, Claude Jade et Michel Subor. Le rôle de Thyraud de Vosjoli, rebaptisé Deveraux, était interprété par Frederick Stafford, acteur australien peu connu. L’espion soviétique était joué par Michel Piccoli. L’épilogue tourné par Hitchcock se déroulait au stade Charléty : l’espion des États-Unis et l’espion soviétique s’y battaient en duel au pistolet. Mais cette fin ne plut pas à la production qui en exigea une autre. Elle refusa également l’autre fin qu’Hitchcock avait tournée sur un aéroport parisien et où les deux espions, prenant en même temps un avion vers des destinations différentes, se saluaient ironiquement. Hitchcock dut par conséquent bricoler une troisième fin, celle qui est dans le film : l’espion, démasqué, est censé se suicider chez lui avec une arme à feu, mais il n’y avait plus d’argent pour tourner la scène à Paris, donc on eut recours à un montage utilisant des images existant déjà. On voit ainsi l’espion pro-soviétique entrer chez lui à Paris, refermer la porte, puis on entend un coup de feu. Il faut noter que, comme il n’existait aucune scène montrant Piccoli rentrant chez lui, on avait utilisé une autre scène où Philippe Noiret lui rendait visite. Hélas, à l’époque, Noiret marchait avec une canne, si bien que, pour dissimuler ce détail, on ne garda que les images où la porte se refermait : on ne voit dans le film que le bas de sa jambe ! Je signale que j’ai vu les trois fins, bien que seule la version officielle soit sortie en salles : aucune des trois ne tient la route...

De l’aveu de tous les critiques et d’Hitchcock lui-même, le film est le plus mauvais de sa carrière, car il est basé sur la politique, et le maître n’était pas à l’aise avec ce genre de sujet. En fait, il s’acharne surtout sur le régime castriste en le ridiculisant. Or ce régime odieux ne se contentait pas d’être un sujet de moquerie.

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

Y
Je n’ai pas écrit que le livre n’était JAMAIS sorti en France, mais que, « en France, À L’ÉPOQUE, le roman n’[était] pas sorti ».
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A
Il y a une erreur importante dans votre post, vous dites que le livre de Léon Uris n'est jamais sorti en France, c'est faux, on le trouve encore au Livre de Poche en 1972, et l'édition canadienne (éditions de l'homme) s'est bien vendue en France. Ceci dit il est vrai que les éditeurs français ne s'en sont pas tout de suite occupé en 1968.
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Y
Difficile de suivre la carrière de ce livre en France, elle a été plus que discrète. Mon exemplaire, imprimé au Canada, m’a été offert par un ami qui l’avait acheté à Rabat l’été 1977. Lui-même ne vivait pas en France.