Quand le deuxième n’est pas second
Hier, en réponse à ma notule sur le feuilleton télévisé Platane, j’ai trouvé (et validé, avec mon immense bonté habituelle) le commentaire d’un visiteur qui, à propos de la distinction que je fais toujours entre deuxième et second, me renvoyait à une page sur Internet, où l’on pouvait lire ceci :
Longtemps, second a été la forme la plus courante, et certains grammairiens prétendaient réserver l’usage de deuxième aux cas où la série comprenait plus de deux éléments ; lorsque l’emploi de second s’est fait plus rare, on a voulu le réduire aux cas où la série ne comprend que deux éléments. Littré, déjà, contestait cette distinction qui jamais ne s’est imposée dans l’usage, même chez les meilleurs auteurs. L’unique différence d’emploi effective entre deuxième et second est que second appartient aujourd’hui à la langue soignée, et que seul deuxième entre dans la formation des ordinaux complexes (vingt-deuxième, etc.).
D’abord, il est archi-faux que la distinction entre les deux mots ne s’est jamais imposée dans l’usage, et je ne sais pas quelles sont les lectures du scripteur de cette affirmation, ni quels sont ces « meilleurs auteurs » dont il parle. On ne doit pas connaître les mêmes. Et comme je vérifie tout ce qu’on me souffle, je suis allé consulter le Littré, afin de savoir si vraiment il « contestait cette distinction » que je m’obstine à faire. Eh bien non, il ne la conteste pas, et l’auteur de la page a trouvé chez Littré ce que lui-même a voulu y mettre ! Car voici, sans y changer une lettre, tout ce que Littré écrit sur la question :
En faveur de deuxième, on a prétendu qu’il valait mieux que second, pourvu que le nombre des objets dépassât deux, second terminant une énumération après premier, et deuxième indiquant qu’il sera suivi de troisième, etc. Mais cette raison, tout arbitraire, laisse prévaloir l’usage.
Phrase pas très claire, avouez, mais concluant qu’il faudrait suivre l’usage –, puisqu’il « prévaut » –, c’est-à-dire parler mal, comme la majorité et comme les zozos de la télévision et de la radio. Eh bien non. Lorsque deux mots ont un sens voisin, comme c’est le cas ici, mais ne sont pas STRICTEMENT synonymes (d’ailleurs, les vrais synonymes, en français, cela n’existe pas), si l’on élimine du langage celui qui plaît le moins au bon peuple, on ampute la langue d’un terme qui a une utilité évidente – donc on l’appauvrit : puisque second signifie deuxième ET DERNIER, nuance que deuxième seul ne comporte pas, il faut le garder.
Vous allez me rétorquer que j’envoie fréquemment des quolibets en direction de certains mots et expressions : incontournable, acter, impacter, performant, opportunité (la version snob d’occasion), glauque (la version erronée de louche), booster, surréaliste (qui n’a pas du tout le sens qu’on lui attribue bêtement), truc, durable, trop (la doublure analphabète de très), transversal, vertical, tendance (employé adjectivement), surf (sur Internet, bien sûr), problème et son diminutif blème (qui me fait blémir), à deux chiffres (pour dire « supérieur à dix », ce qui est absurde puisque 0,1 s’écrit avec deux chiffres), chiffre (pour nombre), apprenant (pour désigner les élèves), au final, professeure et ses variantes, bac plus cinq, bipolaire, best of (inconnu des anglophones, et John Malkovich s’en est moqué dans un film : « Best of, comme disent les Français »), c’est clair, corporate, film-culte, en amont, gérer... Et j’en oublie des dizaines, parce que je ne veux pas vous lasser.
Or tous ces tics verbaux ont en commun d’être totalement inutiles. La clé du langage correct, c’est cela : ne pas rajouter d’éléments inutiles, mais ne pas euthanasier non plus les mots originaux et qui ont LEUR sens particulier.