Quatre couleurs de peau ?

L’autre soir, à la veillée, après que j’ai rajouté une bûche dans le feu sur la prière du Grand Ancien, celui-ci prit la parole pour me dire :

– Vois-tu, Petit Scarabée, autrefois, les choses étaient plus simples. Pour la majorité des gens, la population mondiale se partageait en quatre groupes seulement : les Blancs, les Noirs, les Jaunes et les Rouges.

– Il y avait donc déjà des communistes ? demandai-je.

– Non, Petit Serin qui brille par son inculture. Je parlais des Indiens, encore appelés Peaux-Rouges, qui vivaient en Amérique du Nord et en possédaient la terre, avant que des intrus venus d’Angleterre les en chassent manu militari et parquent dans des « réserves » ceux qu’ils n’avaient pas massacrés. Puisque, dans leur grande humanité, ils ne les massacrèrent pas tous.

– Et moi, alors, Grand Ancien, je serais entré dans quel groupe ?

– Tu aurais été un Blanc, sans aucun doute. Certes, ta peau est d’une couleur indéfinissable, et pas du tout blanche. Elle peut même devenir très rouge quand tu restes trop longtemps au soleil, mais on n’y regardait pas de si près, alors. C’était les bêtises d’autrefois. Heureusement, aujourd’hui, le racisme n’existe plus nulle part.

– Ce devait être très surprenant. Un soir, je me suis trouvé dans un théâtre, où le spectacle avait été mis en scène par Pascal Légitimus, et j’ai vu cet acteur, côte à côte avec Jacques Séguéla. Et lorsque j’ai demandé à la personne qui m’accompagnait qui étaient ces deux hommes, on m’a répondu que Légitimus était un comique noir, alors que Séguéla était un publicitaire blanc. Or, il était évident que le second était beaucoup plus bronzé que le premier. Je n’y ai rien compris.

– Tu aurais été encore plus perplexe si tu étais tombé sur cette photographie en couleurs et pleine page que la revue « Science et Vie » a publiée il y a quelques années. Elle montrait un petit groupe d’enfants, sept ou huit, et d’origines diverses. Et si on t’avait prié de dire combien il s’y trouvait de Blancs, de Noirs, de Jaunes et de Rouges, tu n’aurais pas été capable de le faire, tant les nuances de couleur de peau rendaient leur classement ambigü. Je regrette de n’avoir pas cette photo sous la main. Tu aurais mesuré directement à quel point les idées reçues, celles que tout le monde croit vraies, peuvent être stupides.

– Merci, Grand Ancien, je ne suis donc pas le seul à être un Petit Serin qui brille par son inculture. Me voilà rassuré, dis-je en rajoutant une autre bûche.