« Secrets d’Histoire » : De Gaulle

Publié le par Yves-André Samère

« Aujourd’hui, tout le monde est gaulliste », assène hier soir Thomas Legrand, éditorialiste sur France Inter, au cours de l’émission de France 2 Secrets d’Histoire. Tout à fait, Thomas ! Dans tes rêves, comme on dit chez les gens branchés. Le jour où je serai gaulliste, les poules se feront faire des dentiers, arborant un sourire Ultra-Brite. En dehors de quelques timides réserves dans les dix dernières minutes, mais pas celles que je vais relever ici, ce fut une belle collection de contre-vérités, d’oublis (volontaires ? Pas une voix discordante ne s’est manifestée pour mettre un peu de piment sur cet océan de sirop) et de sottises, dont la plus marrante, la plus sotte et la plus inutile était l’exhibition de Stéphane Bern, à Colombey, juché sur une des branches de la croix de Lorraine, où il s’était fait déposer... par hélicoptère, car l’escalier intérieur, en réfection, est actuellement impraticable.

Voici un florilège de la plus mauvaise et la plus malhonnête émission depuis que la série existe.

- Moncornet, la seule bataille à laquelle De Gaulle a participé, « peu connue » ? Du commentateur, peut-être, mais elle est au contraire très connue, à cause... du nom bizarre de cette localité et des jeux de mots qu’elle a permis. Dommage, elle n’est pas située en Belgique, je vous laisse chercher pourquoi c’est dommage.

- De Gaulle nommé général en juin 1940 ? Certes, quoique... « à titre provisoire et pour la durée de la guerre ». Celle-ci terminée, il aurait dû redevenir colonel, mais, devenu alors le chef de l’État et gouvernant le pays depuis le Ministère de la Guerre, il n’allait pas s’autodégrader !

- Pétain faisant écrire « des livres » par De Gaulle ? Très brève allusion de Christine Clerc, mais les détails sont passés à la trappe. Ils auraient pourtant mérité un bref développement, que j’écrirai dans quelques jours, si Dieu, qui doit être gaulliste lui aussi, ne me foudroie pas sur place.

- Churchill choisissant d’emblée De Gaulle pour en faire le chef de la France libre ? Faux ! Il a fait prospecter parmi tous les Français un peu importants exilés à Londres, et ne s’est rabattu sur De Gaulle que parce qu’il n’avait trouvé personne d’autre qui soit volontaire.

- Personne n’a jamais tutoyé De Gaulle ? Faux ! Le seul homme qui le tutoyait était le maréchal Juin. Les deux hommes se sont d’ailleurs brouillés, car Alphonse Juin, né à Bône, en Algérie, n’était pas du tout partisan de l’indépendance de cette terre, et l’avait fait savoir.

- Le « Vive le Québec libre ! » clamé par De Gaulle lors de sa visite à l’Exposition de Montréal, expression de ses aspirations à la liberté contre les États-Unis ? Gros coup de pouce à la vérité, destiné à blanchir De Gaulle, et cette incartade l’a obligé à quitter le Canada dès le lendemain – la honte pour la France. Elle brouilla notre pays et le Canada jusqu’à sa démission d’avril 1969. Le Québec libre était un parti indépendantiste plutôt minoritaire, qui s’opposait au gouvernement du Canada. Disons que cette sottise et cette impolitesse équivaudraient au fait d’être invité à Édimbourg et de conclure un discours par « Vive la République écossaise ! ». À cette date, le 24 juillet 1967, De Gaulle, complètement usé par huit ans de pouvoir sans partage, n’avait visiblement plus toute sa tête, et voyait le Canada comme un pays impérialiste ayant colonisé le Québec, ce qui est une sottise majeure. Après cela, les gaullistes se sont sentis fort mal à l’aise, ont opéré un tas de contorsions pour tenter de justifier leur idole, et le peuple français a pris conscience qu’il était temps de changer de président. Dès février 1968 (et non pas en mai !), les manifestations antigaullistes ont commencé, avec l’affaire Henri Langlois, qui témoignait que la tête de l’État ne comprenait plus rien à son époque.

- Yvonne De Gaulle « très aimée des Français » ? On a confondu avec Madame Coty, l’épouse du précédent président ! En fait, « Tante Yvonne » n’était pas un surnom affectueux, car, pour qualifier cette femme, célèbre pour son esprit rétrograde et pour sa méchanceté, on hésite entre la grenouille de bénitier et la punaise de sacristie : elle a renvoyé de l’Élysée une femme de chambre célibataire qui avait commis la faute de tomber enceinte ; elle a fait virer de la télévision d’État une charmante speakerine, Noëlle Noblecourt, parce qu’un cadrage dans lequel cette jolie femme n’était pour rien avait malencontreusement dévoilé... ses genoux (l’affaire a fait grand bruit et a scandalisé le pays entier) ; elle a fait interdire par un ministre complaisant le film de Jacques Rivette La religieuse, tiré d’un roman de Diderot (j’ai vu ce film, il était anodin et pas du tout anticlérical) ; et, après l’attentat du Petit-Clamart au cours duquel la voiture du couple présidentiel a été mitraillée, loin de se préoccuper du sort de leur escorte, elle ne s’est inquiétée que des gallinacées qu’elle transportait dans le coffre de leur voiture !

- De Gaulle feignant de fuir, fin mai 1968, afin que les Français, affolés par sa disparition, réclament à cor et à cri son retour ? Imposture. S’il est allé à Baden-Baden, c’est pour supplier Massu, général qu’il avait limogé puis exilé en Allemagne, de lui promettre le concours des troupes françaises d’occupation en cas de coup dur à Paris. Massu a accepté, mais y a mis le prix : qu’on libère son ancien compagnon et chef, le général Salan, emprisonné à Tulle depuis 1962. Et De Gaulle, le couteau sur la gorge, a dû avaler son chapeau.

- Enfin, complètement passé sous silence dans l’émission, le CRIME d’avoir abandonné les harkis, dès le cessez-le-feu du 19 mars 1962 : De Gaulle a fait interdire aux officiers français de les ramener en métropole avec leurs soldats (heureusement, beaucoup ont désobéi). Les harkis étaient ces Algériens qu’on avait engagés comme supplétifs dans l’armée française, afin de lutter contre l’Armée de Libération nationale indépendantiste, avec la promesse de les rapatrier en France si les choses tournaient mal. Et, en effet, elles ont très mal tourné ! Ces malheureux, plusieurs dizaines de milliers – les historiens hésitent entre quarante mille et cent quarante mille – , avec l’approbation du nouveau gouvernement algérien d’Ahmed Ben Bella, ont été égorgés, écorchés, brûlés vifs, émasculés ; on leur a coupé le nez, les oreilles, la langue ; on leur a arraché les yeux. C’était prévisible, vu l’atmosphère de haine qui déferlait alors en Algérie, et De Gaulle le savait très bien.

De quoi le canoniser, non ? Qu’attend le pape ?

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