Si j’écrivais un roman...
Si j’écrivais un roman, je ne le situerais pas à notre époque. J’éviterais ainsi la description d’un monde assez vulgaire, peuplé de gadgets sans âme (téléphones mobiles, smartphones, lecteurs MP3, caméras de surveillance, codes d’entrée dans tous les immeubles, boîtes vocales, appareils photo inclus dans les téléphones, et j’en oublie certainement). J’éviterais aussi les personnages n’ayant que vingt-cinq mots de vocabulaire, proférant sans cesse des C’est clair et des incontournable, et terminant toutes leurs phrases par un Voilà ! péremptoire et dépourvu de sens. Mes personnages à moi diraient commencer au lieu de démarrer ou débuter, parleraient de travailler, non de bosser. Ils sauraient qu’un copain ou une copine, ce n’est pas la personne dont on partage l’existence, mais un simple camarade ou un collègue proche. Et ils ne se feraient pas une bouffe, ils mangeraient, tout simplement.
La télévision serait absente de mon roman, et si mes personnages allaient au cinéma, ce ne serait pas pour y voir un film de Luc Besson, de Judd Apatow ou de Quentin Tarantino, encore moins en 3D. On n’y rencontrerait ni bobo ni néo-facho, et personne ne se régalerait en écoutant du rap ou de la techno, ni n’obligerait autrui à en entendre.
Naturellement, personne n’y conduirait un 4×4, ne se droguerait ni ne fumerait le cigare ou la marijuana. En contrepartie, j’éviterais de casser les pieds de mes lecteurs en leur infligeant des leçons de morale écologique, et ni le réchauffement climatique ni la couche d’ozone n’auraient le droit de pointer leur vilain nez dans mes pages.
Mais, ainsi défini, mon roman n’aurait aucune chance d’être lu, pas même par un éditeur. Je n’écrirai donc pas de roman.