Un film invisible

Publié le par Yves-André Samère

Voir Serge Gainsbourg dans un film réalisé par... Jerry Lewis, ça vous dirait ?

Mais non, je ne déraille pas. Aussi bizarre que cela paraisse (mais après tout, Jean d’Ormesson a bien interprété François Mitterrand dans un film, et Salman Rushdie a joué un docteur dans Une affaire de famille !), aussi bizarre que cela paraisse, disais-je, le film existe. Il s’intitule The day the clown cried, c’est-à-dire « Le jour où le clown a pleuré », et a été tourné en 1972, en Suède et un peu à Paris.

Y jouaient aussi, outre Jerry lui-même et Pierre Étaix (auteur génial, très admiré de Jerry et de Fellini), le musicien Claude Bolling, le chanteur-acteur Armand Mestral (partenaire de Jacques Brel dans L’homme de la Mancha, sur scène), et Anton Diffring, célèbre acteur allemand, qui tenait souvent des rôles d’officier nazi.

Hélas, il y a eu un conflit avec le producteur Nat Wachsberger, qui n’avait plus d’argent et n’avait pas pu payer à Joan O’Brien les droits de son histoire. Jerry a terminé le film avec son propre argent, mais un litige est néanmoins demeuré, et aucune des parties en présence n’a réussi à se mettre d’accord avec les autres. Le film n’est donc pas sorti, la seule copie qui existe est gardée par Jerry, et, après cela, il n’a plus fait que deux films de cinéma, en 1980 et 1983, mais le cœur n’y était plus, et il a laissé tomber.

Ce film invisible racontait ceci : Helmut Doork (joué par Jerry), qui avait été un clown célèbre, est renvoyé de son cirque, pour s’être enivré dans un bar (les scènes de cirque ont été tournée à Paris, au Cirque d’Hiver, où Jerry passait à l’époque) et s’être moqué d’Hitler devant des agents de la Gestapo. On l’envoie dans un camp de prisonniers. Désireux de préserver sa légende, il refuse de jouer pour ses compagnons de captivité. Au fil du temps, le camp commence à se remplir de Juifs, mais il leur est interdit de fraterniser avec les autres prisonniers. Finalement, Helmut est obligé de jouer s’il ne veut pas être battu, mais il échoue à faire rire. Il va alors tenter de répéter son numéro dans la cour de la prison. Là, il entend rire, et découvre un groupe d’enfants juifs qui le regardent, de derrière la palissade de la cour. Heureux d’être de nouveau apprécié, il se fabrique une tenue de clown, commence à jouer régulièrement, et son public augmente. Mais un nouveau commandant de la prison lui ordonne d’arrêter. Il refuse et continue, on le bat, et il est mis au secret. Or les nazis ont l’idée de l’utiliser afin de calmer les enfants au moment où on les fait monter dans un wagon à bestiaux pour les transférer dans un autre camp. Helmut obéit, mais il est enfermé par accident avec les enfants, et arrive le lendemain à Auschwitz.

On dit que Jerry a honte de ce film, qu’il estime raté, donc refuse de seulement en parler.

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