Un truc dans le Médoc
En matière de vocabulaire, il semble n’y avoir pas de milieu, entre les mots qui disparaissent injustement, et ceux qui envahissent tout sans aucune raison.
Pour les premiers, j’ai déjà cité les verbes travailler et commencer, complètement évincés au profit, respectivement, de bosser et de débuter ou démarrer – le premier, au prix d’une vulgarité, les deux derniers, au prix d’une faute de français, puisque, intransitifs, ils ne peuvent pas se substituer à un verbe transitif. Ça, c’est l’ABC de l’observateur.
En ce qui concerne la deuxième catégorie, commencent à me courir sur le système ces deux parasites que sont truc et médoc.
Il n’a pas pu vous échapper que, dans les films et les téléfilms d’origine anglaise, lorsqu’un personnage dit “I have something to do”, le dialogue français, qu’il soit doublé ou sous-titré, traduit systématiquement par « J’ai un truc à faire ». Un truc... On croit rêver devant cette platitude permanente. Un truc, c’est un artifice permettant les tours de magie. Quand un magicien exécute un tour, il y a toujours quelqu’un pour s’écrier que, « Bof, y a un truc ! ». Ben oui, sans cela, où serait le mérite ? Si le magicien coupait réellement la femme en deux, ce serait certes une action louable, mais banale. En revanche, qualifier de « truc » tout et n’importe quoi, c’est démontrer qu’on ne sait pas s’exprimer. Hélas, je cours encore après les exceptions, à l’écran.
Et puis, il y a ce récurrent médoc censé désigner n’importe quel médicament. Les traducteurs le casent absolument dans toutes les situations, et quel que soit le personnage qui parle. Franchement, vous imaginez un médecin disant à un patient « Je vais vous prescrire des médocs » ? En général, si l’on prête l’oreille, on entend pills dans le dialogue anglais, sans doute parce que les auteurs anglophones, moins ignares que les tâcherons qui traduisent leurs dialogues, savent que le Médoc est à la fois une région du bordelais, sur la rive gauche de la Gironde, et un vin réputé qui en vient. Eux ne commettraient pas le blasphème de confondre ce nectar avec de l’aspirine.