Canopée papale
Vous me connaissez, je ne dis jamais de mal sur qui que ce soit.
Bien élevé par des parents modèles, je suis extrêmement tolérant, et c’est à peine si je me permets, à titre exceptionnel, d’émettre une indulgente réserve sur les journalistes illettrés ; les hommes politiques qui prétendent que demain on rasera gratis ; les rappeurs ignorant la musique et vociférant des insanités ou des jérémiades agressives ; les faiseurs de sous-titres qui mettent partout de l’argot et des fautes de français ; les plagiaires toutes catégories ; les religions et leurs livres prétendus « saints » ; le public hurleur et applaudisseur des émissions télévisées ; les diminutifs et autres mots raccourcis ; les prix littéraires qui récompensent des livres écrits par des analphabètes ; les cinéastes débutants, qui oublient que les grands maîtres ont tous débuté au bas de l’échelle ; les chanteuses aphones et ne possédant qu’une tessiture d’une demi-octave ; les « grandes dames » du cinéma qui font des fautes de français ; les mauvais arrangements musicaux, notamment à la batterie ; les « chanteurs » de slam, qui justement ne chantent en aucun cas ; les artistes qui se détestent mais passent leur temps à « se faire la bise » en public ; les acteurs très flattés quand on leur dit qu’ils « se mettent en danger » ; les chanteuses qui crient ; les intervieweurs qui donnent du « mon père » aux ecclésiastiques ou du « mon général » aux généraux, et racontent que telle canaille « n’a pas souhaité » répondre à leurs questions ; les gens qui à la radio ne cessent de se dire mutuellement bonjour et merci ; les chroniqueurs politiques qui affirment que tel personnage qui a fait une déclaration « fait sa rentrée » ou que désormais la France « joue dans la cour des grands » ; les États-Unis ; les actrices moches ; les animateurs de radio-télés qui disent aux actrices moches qu’elles sont ravissantes ; les hommes politiques de gauche qui TOUS mettent leurs enfants à l’école privée ; les cadreurs qui filment avec la caméra à l’épaule alors qu’ils n’ont pas la force de la tenir ; les chefs syndicalistes qui font croire qu’on les rétribue au SMIC mais oublient de parler de leurs avantages en nature, équivalents à ceux des ministres ; les footballeurs et leur public de décérébrés ; les Oscars et le festival de Cannes ; les chroniqueurs littéraires mal rasés qui passent la brosse à reluire à tous leurs copains ; les ignares qui emploient des mots inutiles comme incontournable ou des expressions incorrectes comme au final et je m’EN rappelle ; les démagogues qui casent dans leurs déclarations « les Françaises et les Français » ; les ministres qui se croient obligés de citer sans arrêt « le président de la République » alors qu’en privé ils le tutoient ; les Enfoirés qui se font de la publicité gratuite en blousant les pauvres ; les hamburgers et les hot-dogs ; les partisans de la peine de mort ; les films de Martin Scorsese, Xavier Dolan, Judd Apatow et Abdellatif Kechiche ; les partisans de la vente libre des armes ; les ministres de l’Éducation nationale qui ne songent qu’à défaire ce qu’avait fait leur prédécesseur ; et je crains bien d’en avoir oublié deux ou trois.
Et puisque j’ai cité les plagiaires, voici un détail qui m’a frappé. Je ne garantis pas qu’il y a eu plagiat, mais tout de même, la chose est bizarre. Vous ne pouvez ignorer qu’à Paris, nous en sommes à la troisième reconstruction du quartier des Halles, où j’habite. Or le centre commercial souterrain a été recouvert d’un toit baptisé « la Canopée », ce terme désignant habituellement la partie supérieure d’une forêt. Cette canopée est terminée depuis un an, je l’ai visitée deux fois, et je passe devant presque chaque jour. Or, vue de haut, cette construction ressemble étrangement au toit qui, au Vatican, recouvre le grand auditorium où ont lieu parfois des assemblées sans doute très fréquentées, à en croire l’espace intérieur – le pape y vient quelquefois présider la sauterie. Vous pourrez juger de cette ressemblance en regardant cette double photo, que je crois assez parlante. À gauche, la Canopée des Halles, assez moche, dans un style de poisson mort ; à droite, le Vatican. Reste une question : qui a « inspiré » l’autre ?
Attendu que l’auditorium papal existe depuis plusieurs années (je l’ai vu, terminé, dans un film datant de l’année dernière), alors que le toit des Halles qui couvre un chantier loin d’être achevé ne date que d’un an, cette question, on peut se la poser. Mais c’est peut-être indécent.