Traître ? Lâche ? Ou rien de tout ça ?

Publié le par Yves-André Samère

Hier, j’ai vu dès la première séance le dernier film de Steven Spielberg, Le pont des espions (soit dit en passant, dans cette grande salle du Boulevard Saint-Germain, nous n’étions que... six spectateurs. Mais passons). Le film, qui raconte des évènements authentiques, montre un espion russe qui, en 1957, se fait arrêter à New York par la CIA. Pour brouiller les pistes, il avait donné comme identité « Rudolf Abel », mais se nommait en réalité William Guenrikhowitsch Fischer, d’ailleurs né en Grande-Bretagne, le véritable Abel étant mort deux ans plus tôt – ce que le film ne dit pas !

Comme on doit le juger pour ses activités, et que tous les avocats se défilent, le gouvernement lui trouve un avocat d’affaires, un type bien, qui finira par lui éviter la peine de mort et obtenir qu’il soit échangé contre le célèbre Gary Powers, aviateur militaire états-unien qui, envoyé en mission pour survoler l’URSS et prendre un maximum de photos, s’était fait abattre par un missile, et emprisonner. Il y a donc deux espions, et le film traite de leur échange.

Mais ce qui m’intéresse présentement, c’est ceci : l’avocat du faux Abel, qui s’appelle James Donovan, est devenu l’homme le plus détesté des États-Unis, simplement pour avoir voulu faire son travail, défendre son client, que tout le monde qualifie de « traître » – alors que lui aussi, et comme Gary Powers, n’a fait que son travail. Or cette ignorance du sens des mots, qu’Albert Camus considérait comme une calamité, fait qu’on refuse de comprendre cette évidence : un traître est un homme qui trahit son pays, et pas un homme qui combat pour son pays. À rapprocher de ce qu’avait dit Georges Clemenceau : « Un traître est celui qui quitte son parti pour s’inscrire à un autre. Et un converti, celui qui quitte cet autre pour s’inscrire au vôtre ».

Cela me rappelle ces critiques imbéciles contre les terroristes suicidaires qui avaient lancé les deux Boeing contre les tours jumelles de Manhattan en septembre 2001, et dont les gens qui pensent avec leurs pieds avaient clamé qu’ils avaient commis « un lâche attentat ». Comprenons-nous bien : je n’approuve pas les attentats, pas davantage que ceux que l’on commet contre le vocabulaire. Et quand on accepte de faire le sacrifice de sa vie pour une cause, quelle qu’elle soit, on est le contraire d’un lâche. Le lâche se planque pour sauver sa peau, il ne se suicide pas. En ce sens, les jeunes pilotes-suicides japonais qui, durant la Deuxième guerre mondiale et croyant mourir pour leur dieu d’empereur, précipitaient leur avion sur le pont des navires de guerre de l’U.S. Navy, étaient tout sauf des lâches.

Un imbécile et un lâche, ça fait deux.

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