La phobie du « spoiler »

Publié le par Yves-André Samère

Hier soir, j’ai été invité à voir en avant-première un film qui ne sortira que le 12 octobre prochain, et que j’ai trouvé excellent. Il est de Matt Ross et s’intitule Captain Fantastic, bien qu’il n’y ait aucun capitaine dans cette histoire, et pas la moindre trace de fantastique – ce doit être la mode envahissante des super-héros. Or le distributeur, qui s’appelle Mars, a bien accepté de montrer son film, à la condition que... personne n’en parle dans les médias avant le 1er octobre ! Embargo sur les spoilers.

Si vous arrivez de la planète, euh... Mars, précisément, et que vous ignorez encore ce qu’est un spoiler, il s’agit de l’action consistant à divulguer un ou plusieurs épisodes d’un film, d’un livre, ou de tout autre ouvrage racontant une histoire, et tout particulièrement la fin. Ce qui est censé gâcher l’histoire, et a donné lieu à l’emploi récent, sur France Inter, du néologisme divulgâcher. Le catéchisme social implique que TOUT LE MONDE déteste connaître à l’avance la fin d’un film, d’un livre, etc. Pas moi, et au contraire, j’aime bien, au moment où je commence un roman policier, sauter à la dernière page pour connaître cette fin ! Ensuite, tranquillisé, je peux profiter de la manière que l’auteur emploie pour raconter son histoire et en venir à cette fin, précisément. Alors, maso ? Non, je trouve du dernier crétin de n’accorder de valeur qu’au procédé par lequel on donne une fin à une histoire, au point que, durant une vingtaine de mois, j’ai collaboré à un site, la-fin-du-film.com, qui révélait malicieusement la fin des films racontés, et j’y ai donné plus de cent récits, avant de tirer ma révérence et d’aller voir ailleurs si j’y étais, parce que j’avais envie de changement. Et je me ferais découper en tranches avant d’admettre que la valeur d’un film réside dans son dénouement. Si ce principe était valide, est-ce qu’on écouterait une chanson plus d’une fois, est-ce qu’on relirait plusieurs fois son livre préféré, est-ce qu’on suivrait à la télé, chaque 31 décembre, les vœux du président de la République ? J’ai vu Vertigo ou Orange mécanique plus de vingt fois chacun, et je n’en suis pas fatigué, alors qu’évidemment je les connais par cœur.

Mais vous me connaissez, je suis l’obéissance incarnée, et lorsqu’on me dit de ne PAS faire une chose, j’obtempère, le petit doigt sur la couture du pantalon.

Or le film dont je parle est sorti aux États-Unis en... janvier 2015, il a été présenté en mai au Festival de Cannes, il a fait l’objet de vingt-et-une critiques internationales, dont une en français par un critique, Sven Papaux, qui était à Cannes, et personne ne le lui a reproché. D’ailleurs, la reproduction de cette critique est ICI, et je vous supplie, pour votre sécurité, de ne pas aller la lire, ou vous me feriez beaucoup de peine.

Quoi ! Je n’ai pas « raconté la fin » ? Bien allons-y : la mère de famille, qui s’est suicidée et qu’on ne voit jamais, avait laissé un testament par lequel elle refusait des obsèques normales, et priait son mari et ses enfants de l’incinérer et de jeter ses cendres... dans des toilettes suffisamment fréquentées. Ce qui fut fait clandestinement, dans les lavatories d’un aéroport !

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