Le procès d’Eichmann
Il y a trois jours, j’ai visionné en différé un film de Paul Andrew Williams, écrit par Simon Block, et qui avait été réalisé en 2014 pour la BBC. L’un des acteurs principaux était Martin Freeman, que vous connaissez certainement, puisqu’il joue le docteur Watson dans Sherlock, la meilleure adaptation actuelle des aventures de Sherlock Holmes (à ce propos, la quatrième saison de cette série a commencé le 1er janvier, et j’en ai « récupéré » le premier épisode avant-hier, The six Thatchers). Ce film s’intitule donc The Eichmann show, et il n’est jamais sorti en France. Pourtant, on devrait en conseiller fortement la vision à tous les imbéciles (et à tous les salauds néo-nazis comme Le Pen, Alain Soral ou Dieudonné M’Bala M’Bala) qui nient l’existence des camps de la mort nazis et balancent des ignominies comme « À Auschwitz, on n’a gazé que les poux ».
Naturellement, le titre indique qu’il s’agit du procès fait au criminel de guerre et nazi Adolf Eichmann, capturé en Argentine par les services secrets israéliens, et qui eut lieu à Jérusalem. Ce procès, présidé par trois juges, commença le 11 avril 1961, et s’acheva le 11 décembre de la même année. Mais Eichmann fit appel de sa condamnation à mort, qui fut néanmoins confirmée le 28 mars 1962. Et il fut pendu le 31 mai, étant le seul civil exécuté en Israël. Je précise que l’accusation avait été soutenue par le procureur général Gideon Hausner, et que tout le procès fut filmé pour la télévision, avec une diffusion mondiale.
Le film peut être analysé sous deux aspects : documentaire et moral.
Le côté documentaire est assuré par la vision de nombreux extraits d’archives, ceux provenant du procès lui-même (les juges, les témoins, le procureur, les journalistes, l’accusé enfin, dans sa cage de verre), et les images tournées au moment de la libération des camps, avec les prisonniers vivants mais squelettiques, et les monceaux de cadavres repoussés au bulldozer dans les fosses communes.
Le côté moral réside en ce que le producteur israélien Milton Fruchtman, chargé de filmer le procès (et c’était la deuxième fois que l’on faisait cela, après le procès de Nuremberg), qui ne voulait enregistrer que le document, s’est révélé en désaccord avec le réalisateur documentariste Leo Hurwitz, venu des États-Unis pour diriger les prises de vues depuis la cabine technique, et qui cherchait à capter une réaction humaine sur le visage d’Eichmann lui-même, et ses émotions éventuelles. En quoi d’ailleurs il échoua, car le nazi, s’accrochant à sa version (Je n’ai aucune responsabilité dans tout ça, je n’ai fait qu’obéir à mes supérieurs), ne manifesta aucune émotion à quelque moment que ce soit. Les deux hommes se sont donc affrontés idéologiquement, notamment à partir de cet incident au cours duquel un témoin, terrassé par l’émotion, s’est évanoui à la barre. Or le réalisateur, qui ne cessait d’ordonner à son caméraman de faire des gros plans sur le visage de l’accusé, a raté presque complètement cet incident, à la grande fureur du producteur, qui n’a pas eu en intégralité le document qu’il souhaitait faire.
(Assez brouillés, les deux hommes se sont réconciliés ensuite, car aucun n’avait quoi que ce soit à se reprocher, ce n’était qu’une divergence philosophique)
En somme, c’était un avant-goût du scandale que provoqua le livre que publia en 1963 Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, qui fut mal interprété : on crut que, dans son esprit, cette « banalité » des crimes et le fait qu’elle voyait en Eichmann un homme médiocre, insignifiant, pouvaient être interprétés comme une excuse pour les exécutants nazis – interprétation qu’elle a toujours niée.
Selon moi, c’est la qualité essentielle de ce film, qu’on devrait montrer partout.