Pierre Bouteiller

Publié le par Yves-André Samère

On vient d’apprendre la mort de Pierre Bouteiller, à 82 ans, et c’est une grande perte pour la radio de qualité. J’avais acheté son livre Radioactif, qu’il avait publié en février 2006, où il racontait ses souvenirs. Dans l’introduction, il rapportait avoir longtemps reculé cette rédaction « sous des prétextes divers allant de la surcharge de travail à la fausse modestie ». De mon côté, j’avais eu l’intention de lui écrire pour lui signaler une erreur de chronologie dans son récit, mais ne l’ai jamais fait : j’ai moi aussi reculé cette rédaction, mais pas par surcharge de travail, puisque je ne fais rien, comme vous le savez. Non, chez moi, ce n’est sûrement pas non plus de la fausse modestie, mais bien plutôt de la procrastination, puisque je ne remets jamais au lendemain ce que je peux faire le surlendemain.

Pierre Bouteiller, avec Claude Villers et José Artur, a été le meilleur homme de radio qu’on a connu en France, et son magazine d’une heure quotidienne a durant des années fait le bonheur des auditeurs de France Inter, même s’il avait débuté sur une autre radio. Mais c’était un de ces esprits libres qu’on chercherait vainement de nos jours.

Et puis, au contraire de beaucoup d’autres, il ne faisait jamais de ces interviews horripilantes en anglais, une spécialité naguère de Jean-Luc Hees et aujourd’hui de Nagui, et qui font fuir les auditeurs : chez lui, tout se faisait en français, et en bon français. Ainsi, le jour où il avait invité Woody Allen, et en dépit de la réticence de celui-ci à s’exprimer en français (langue qu’il comprend mais qu’il a du mal à parler), ils avaient tous les deux parlé exclusivement en français pendant près d’une heure. Un exploit !

Lorsqu’en 1981 François-Régis Bastide avait quitté la France pour aller faire l’ambassadeur en Scandinavie (il était socialiste, et Mitterrand l’y avait nommé), Bouteiller avait repris d’une main très ferme la direction de l’émission-phare de France Inter, Le masque et la plume, et sa première décision avait été de supprimer les intermèdes improvisés au piano auxquels Bastide tenait tant – il croyait sottement que c’était la meilleure façon de critiquer les films, mais, en fait, ces interruptions de la parole étaient mortellement ennuyeuses et cassaient le rythme des débats. Plus de pianiste ! Tant mieux. Aujourd’hui, il a été remplacé par Jérôme Garcin, histrion faussement neutre – il donne sans arrêt son avis sur les œuvres tout en prétendant ne jamais le faire –, et grossièrement intéressé par le fric et le copinage rentable. En 1999, on avait nommé Bouteiller directeur de France Musique, qu’il avait illico rebaptisée France Musiques, au pluriel. Puis, au bout de quelques années, bêtement, on l’a licencié, et il était allé poursuivre modestement sa carrière dans une petite radio, où il parlait de jazz, car il était lui-même un connaisseur et un excellent pianiste.

L’espèce des Bouteiller est éteinte, désormais.

(Je signale que je n’ai pas consulté Wikipédia. Si j’ai fait des erreurs, corrigez-moi, ça ne me vexe pas)

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

M
Ah oui, les abominables interviews "bilingues" de J.-L. Hees, au cours desquelles il traduisait la fois ses questions ET les réponses de l'invité, si bien qu'on l'entendait parler à l'invité en arrière-fond, et couvrir sa voix lors de ses réponses...<br /> Je l'ai toujours trouvé insupportable de suffisance confite.
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Y
Et avec ça, une vulgarité ! Hees était le genre de type capable de recevoir un Prix Nobel de Littérature, comme Günter Grass ou Dario Fo, et de lui demander « Alors, vot’ bouquin, c’est quoi ? ». Je lui avais écrit pour le complimenter sur ses manières, il ne m’a jamais répondu.
D
Mais on a oublié un homme de radio qui est encore vivant, et du bois dont on fait les Bouteiller, José Artur et Villers : Philippe Meyer. Je le suis tous les dimanches sur France Culture.
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D
Oh, c'est plus "sérieux" que son émission sur Inter. Mais instructif, et comme toujours, fin et intelligent. A vous de voir.
Y
Je vais devoir m’y mettre, si je ne veux pas me faire excommunier.
C
Parfait, j'abonde sur tout . Pour compléter , j'ai appris que c'est en écoutant sur Europe n 1, "pour ceux qui aiment le jazz" que lui vint l'idée de devenir journaliste , et c'est sur" europe" qu'il débuta .On le vira <br /> pour quelques mots déplacés sur De Gaule ! Grâce Lui soit rendu .En 2004 il fut viré de Radio France par Jean Paul Cluzel, il le trouvai trop vieux . Moi qui aime le Jazz, je manquai de culture en classique et il m'avait fait connaitre le concerto en sol pour piano et orchestre de Ravel; je voulais toujours le contacter pour le remercier et, je ne l'ai jamais fait, je regrette , évidemment !
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Y
Je connaissais ces détails, qui sont dans son livre. Bouteiller trop vieux ? Absurde. Après son départ de Radio France, il a continué son métier sur TSF Jazz. Pas du tout gâteux, loin de là.
B
J'en étais certain, la mort de Pierre Bouteiller vous "interpelle"... A son époque l'expression "bobo parisien" n'était pas usitée, donc, comment le qualifier ? Il avait une immense qualité, ou plutôt une caractéristique : une superbe voix radiophonique (qui se souvient de Stéphane Pizella ?), mais une suffisance, une morgue exaspérantes. Désolé, dans mon Panthéon radiophonique je place tellement haut Claude Villers dont l'éclectisme était admirable que je n'apprécie pas sa mise à niveau avec le perroquet nombriliste qu'était José Artur et le snobinard Pierre Bouteiller qui aurait détourné du jazz un simple mélomane juste pourvu du Certificat d'études ! Et puis, une petite confidence : je ne lui ai jamais pardonné le licenciement de l'excellente Brigitte Vincent, cultivée sans ostentation, curieuse de tout et, elle aussi, dotée d'une voix très radiophonique !
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D
Un intervenant sur une émission d'Inter aujourd'hui a eu une image assez intéressante sur Bouteiller "il était vieille France, dans le bon sens du terme". C'est mieux que bobo, et lui ressemble plus.<br /> Après, la question de fond, j'aime, j'aime pas... c'est une opinion personnelle, honorable de toute façon, même si je ne partage pas votre analyse !
Y
Je ne partage évidemment ces opinions sévères sur José Artur et Pierre Bouteiller. Mais on peut les exprimer, ici.
D
J'ai été triste d'apprendre son décès. Voix, français impeccable, détachement, surtout aucune concession à "l'air du temps", aux enthousiasmes obligatoires. J'ai aimé toutes ses émissions.<br /> Alors, soit on est de vieux croûtons nostalgiques, soit un certain moule d'hommes de radio est cassé.
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Y
Le moule est cassé. Reste Stéphane Bern, qui ne se croit pas sorti de la cuisse de Jupiter et qui a aussi de l’esprit.