Langue de bois : 1. Euphémismes
La langue de bois, pour mieux nous rassurer, utilise de nombreux euphémismes, car ils peuvent renommer une réalité trop dure en l’adoucissant, et ôtent la charge négative de certains mots. Hélas, cette amélioration reste éphémère, car les mots nouveaux finissent malgré cela par désigner la même réalité, qui, elle, ne change pas ; de sorte qu’il devient nécessaire d’inventer de nouveaux euphémismes. Ce mécanisme, qui affecte la plupart des outils de la langue de bois, possède néanmoins un avantage évident : on entretient par là même l’esprit d’invention.
C’est ainsi que certains mots disparaissent. Et vous n’entendrez plus jamais dire que quelqu’un est mort ! Non, ce quelqu’un nous a quittés. Plus personne n’est vieux : aujourd’hui, on est une personne âgée, puis un senior. L’armée des États-Unis n’écrase plus les populations sous ses bombes, depuis qu’elle se contente de frappes chirurgicales. Évidemment, les pauvres ont tous disparu, il n’y a plus que des publics défavorisés, puis simplement fragilisés. Et les jeunes en difficulté, demandez-vous ? Eh bien, ils sont sauvés, puisqu’ils sont désormais jeunes avec moins d’opportunité (J.A.M.O.), puis des jeunes avec moins de possibilités (J.A.M.P.). Je n’invente rien, ces termes, que vous ignoriez peut-être, font partie du langage officiel européen. Quant aux quartiers populaires pauvres, naguère défavorisés, ils sont devenus des quartiers sensibles. Et il y a beau temps que les pays du tiers-monde, d’abord marqués de l’étiquette péjorative de pays sous-développés, sont devenus des pays en voie de développement, avant d’être promus pays émergents. Tout de suite, on s’y sent mieux !
Et la différence entre les sexes ?, vous demandez-vous. C’est simple, elle a disparu, puisqu’on ne dit plus domination masculine, on parle à présent d’inégalités hommes-femmes. Dans la foulée, il n’y a plus de fille-mère, puisqu’on a créé les mères célibataires avant de les rebaptiser mères isolées. Quant à l’emploi, il se porte à merveille depuis que les plans de sauvegarde de l’emploi sont devenus des plans sociaux.
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