Rendre un film intéressant
Pourquoi trouvons-nous intéressant tel ou tel film ? Est-ce à cause d’une histoire passionnante ? En dépit de la considération que je dois à Jean Gabin (pour faire un bon film, il faut trois choses : une bonne histoire, une bonne histoire et une bonne histoire, a-t-il dit), je crains que ce soit pour une tout autre raison.
Je pense que la condition capitale pour réussir un film, c’est qu’il comporte avant tout des personnages intéressants. Et peu importe s’ils ne font pas grand-chose de bouleversant, car cet aspect n’est pas le principal. Mais prenons un exemple très connu.
Vous connaissez certainement le film d’Alfred Hitchcock, Strangers in a train (en français, L’inconnu du Nord-Express). Dans cette histoire, nous voyons un champion de tennis, Guy, marié à une femme qui le trompe, et qui voudrait bien divorcer pour épouser la fille d’un sénateur, mais sa femme lui refuse le divorce. Comment se débarrasser d’elle ? Notez déjà que c’est un type droit, et qui n’envisage pas du tout de la tuer. Or, dans un train, il rencontre Bruno, qui voudrait bien, lui, être débarrassé de son père, lequel ne lui donne pas assez d’argent. Situation courante des deux côtés, cette histoire banale pourrait s’arrêter là, et donner un court métrage de cinq minutes.
Or Bruno est fou, et doté d’une imagination délirante. Il propose à Guy d’échanger leurs crimes : lui tuera la femme de Guy, pendant que Guy tuera le père de Bruno ! Guy comprend immédiatement que Bruno est un fou dangereux, fait mine de trouver l’idée géniale et acquiesce poliment, avant de descendre du train. Mais Bruno a cru que Guy acceptait le marché, va immédiatement étrangler la femme de Guy, puis fait savoir à ce dernier qu’il attend le renvoi d’ascenseur. Comment Guy va-t-il se sortir du pétrin, sachant que Bruno lui a chipé son étui à cigarettes et l’a laissé sur les lieux de son crime pour mouiller Guy et le faire chanter ?
On voit que ce qui compte dans cette histoire et qui la rend intéressante, ce n’est pas les péripéties qui précèdent et suivent le crime, mais la situation dans laquelle un type banal s’est fourré parce qu’il n’a pas osé rembarrer un cinglé. Au départ, tout le monde aurait agi comme Guy, mais la folie de Bruno a fourni l’essentiel.