« Du grec, ma sœur, il sait du grec ! »
Je viens de trouver, sur le site d’Amazon, un commentaire d’une lectrice prénommée Julie, qui avait acheté le livre de Jacqueline de Romilly intitulé Petites leçons sur le grec ancien. Cette lectrice, qui m’a paru pleine de bon sens, écrit notamment ceci : « Même privée de la vue, Jacqueline de Romilly poursuit son inlassable propagande pour la culture grecque. La lecture en est passionnante, car fluide, légère, ailée même. On en oublierait la densité du propos. D’autant que les auteurs ne résistent pas au plaisir de moquer les précieux ridicules, ces pédants et faux savants des médias et d’ailleurs, qui mettent par exemple de la “problématique” (art de poser les problèmes) à toutes les sauces, là où “problème” suffit amplement ». Et elle ajoute plus loin ce coup de patte aux adeptes « d’une démocratie où tout le monde se croit compétent sans avoir rien appris, du théâtre comme des autres disciplines ; ceux qui en sont en tirent le plus souvent une assurance qui les mène à l’impudence. Dès lors ils se croient tout permis, refusent l’autorité, les lois, le serment, l’engagement ».
Je retrouve dans ce commentaire l’essentiel de mes critiques portant sur nos actuelles précieuses ridicules, et j’ai pensé à ce jour où, assistant à l’émission Le masque et la plume qui ce soir-là parlait de théâtre, j’avais, au micro, descendu en flamme un metteur en scène défunt mais toujours très coté, Antoine Vitez, qui, s’estimant plus intelligent que Molière, avait fait incarner Arnolphe, le tyran domestique de L’école des femmes – « un barbon », selon l’auteur –, par un jeune homme de vingt-cinq ans, costaud comme un fort des Halles, et qui portait sur son dos ses propres domestiques, sans aucune raison valable. J’avais aussi qualifié de « parfaite idiote » son Agnès, laquelle préférait à son tuteur un Horace, jeune homme de son âge, représenté par Vitez comme un avorton qui se roulait par terre en poussant de petits cris.
Ces élucubrations n’étaient pas rares. J’ai vu aussi à la Comédie Française une représentation du Caligula d’Albert Camus, mis en scène par Youssef Chahine, où l’on pouvait gamberger sur le fait que des jeunes Romains de cette époque arrivaient en scène, juchés sur des motos et tirant sur leurs cigarettes, pendant qu’un sénateur était incarné par... une femme, Catherine Samie, actrice qui avait naguère interprété la Môme Crevette dans La dame de chez Maxim, l’illustre comédie de Feydeau.
NB : à propos de problématique, j’ai assisté il y a quelques années, au cinéma L’archipel, à la présentation, réservée aux très jeunes enfants, du premier film de Joseph Losey, Le garçon aux cheveux verts, œuvre traitant de guerre et de racisme, des thèmes par conséquent tout à fait appropriés à ces gosses, dont l’âge tournait autour de sept ou huit ans. Ils étaient pilotés par une institutrice, qui s’est cru obligée de présenter le film par un discours où était revenu trois fois le mot thématique. Cette gourdasse, pour parler comme Guy Carlier au temps où il officiait dans Le fou du roi, croyait sans doute qu’elle les instruisait.