Souvenirs « recomposés »

Publié le par Yves-André Samère

Aujourd’hui, sur France Inter, Nagui recevait un psy qui s’attaque à ce qu’on qualifie souvent de « souvenirs recomposés » [sic], thème récurrent dans les médias, la thèse officielle – prêchée par une corporation de charlatans – étant que la limite d’âge pour le fonctionnement de notre mémoire est fixée à deux ans, et qu’il est impossible de se rappeler quoi que ce soit avant cet âge. De sorte que, si nous nous rappelons un fait antérieur à cet âge, ce souvenir n’est pas authentique. En d’autres termes, nous ne nous souviendrions de rien et aurions « fabriqué » un pseudo-souvenir d’après ce que nous auraient raconté nos parents ou nos grands-parents, ou d’après des albums de photos remontant à cette date.

Je regrette, mais je tiens les psys pour de navrants escrocs, et ce genre de théorie doit être du même ordre quant à la recomposition – prétendue – des souvenirs. Ce n’est que de la roupie de sansonnet, comme on ne dit pas assez souvent (Montherlant parlait plutôt de « bouillie pour les chats », ce qui est très bien aussi). Je tiens pour baratin inepte ces certitudes claironnées par des gens qui prennent la psychologie pour une science « humaine », alors qu’elle n’est guère plus qu’une branche de la philosophie, comme toutes les études sur les opinions des foules.

Bref, vous me pardonnerez si je me prends en exemple afin de soutenir que cette thèse est une pure invention, due à des imposteurs qui défendent leur bifteck. Mes parents et moi avons quitté ma ville natale, mes deux grands-pères et une grand-mère étant morts avant ma naissance (et celle qui me restait n’était pas portée sur les bavardages), et nous sommes allés nous installer à des centaines de kilomètres de là. J’avais un an, et je me souviens très bien du voyage en chemin de fer, des militaires qui partageaient notre compartiment et de l’odeur de ce qu’ils mangeaient, puis du premier appartement que nous avons occupé, avec mon berceau à roulettes recouvert d’un tissu rose à fleurs, que je revois parfaitement alors que nul ne m’en a jamais parlé, surtout pas ma seule grand-mère, que je n’ai revue qu’après mes quatre ans et qui à aucun moment n’a connu ce berceau. Les anecdotes de mes parents ? Mon père ne me parlait pas, d’ailleurs il a été appelé dans l’armée quand j’avais deux ans et demi, et je ne l’ai revu que deux ans après. Ma mère était plus bavarde mais n’a rien évoqué, ni du présent ni du passé. Les albums de photos ? Mes parents ne faisaient pas de photos, et il n’en existe aucune de cette période. En réalité, la première photo qui a été prise de moi l’a été lorsque j’ai eu six ans, alors que je terminais ma première année d’école.

Avec quels récits et autres documents aurais-je pu « recomposer » des souvenirs ? Je sais bien que la plupart des humains ont une mémoire peu fiable. Mais ce n’est pas mon cas.

Écrire ci-dessous une ânerie quelconque :

D
Mon grand-père maternel est mort quand j'avais 2 ans 1/2. Or, je me souviens très bien d'un repas de famille, j'étais sur ses genoux (gilet gris avec chaîne de montre, chemise blanche, moustache et cheveux blancs, lunettes et yeux vert clair). Il a voulu me faire boire une gorgée de champagne dans sa coupe en cristal. Comme j'apprenais à boire et plus à téter, j'ai mordu le bord de la coupe, qui s'est cassé. Je me souviens des cris horrifiés de tante, mère, grand-mère (et la tête consternée de mon grand-père qui disait mais c'est rien, le morceau est entier, ou un truc comme ça).<br /> Personne ne m'en a parlé, j'ai interrogé ma mère bien des années plus tard, elle ne se souvenait de rien (tu es sûre ? Mais tu étais toute petite ?).<br /> On peut évidemment dire "quelle idée de faire boire du champagne à une petite fille". Je suis d'accord : je déteste le champagne.
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D
Le champagne n'a rien de commun avec le foie gras, qui se déguste avec un vin blanc doux de préférence (Jurançon, Sauternes, Pacherenc). Mais pour nous réconcilier, disons que nous détestons en commun les huîtres. Qui, elles, peuvent se déguster (s'avaler ?) avec du champagne.
Y
Par chance, quand j’étais bébé, on ne m’a jamais offert de champagne. J’horreur de ça autant que du foie gras.