Les œuvres « volées »
Dans le cadre de la mode actuelle consistant à se flageller, on nous a révélé que notre gouvernement comptait restituer aux pays producteurs d’un certain nombre d’œuvres d’art – que nous leur avions évidemment volées – lesdites œuvres, qui croupissent dans nos musées. Cela part sans doute d’un bon sentiment, mais si Jean Valjean n’avait pas barboté les deux chandeliers d’argent à Myriel, l’évêque de Digne, et la pièce de quarante sous au jeune ramoneur Petit-Gervais, serait-il devenu Monsieur Madeleine, maire de Montreuil-sur-Mer et connu pour sa bonté ?
Je ne suis pas en train de plaider pour le vol, mais cela n’empêche pas de réfléchir un peu. D’abord, les pays en question, que faisaient-ils de leurs œuvres d’art, à l’époque où on les leur chouravait (au temps de Bonaparte et sur ses instructions) ? Les plaçaient-ils dans des musées, ouverts au public ? Je suis assez bien placé pour savoir que, par exemple, au Maroc et en Côte d’Ivoire, il n’existait aucun musée à l’époque de ce larcin, nulle part, et que ces pays n’en ont probablement pas encore. Donc, nul ne voyait les œuvres en question ! En Afrique, je ne vois de musées qu’à Constantine, en Algérie (le musée Cirta, du nom historique de la ville), et au Caire, en Égypte (le musée égyptien du Caire) – surtout en Égypte, parce que ce pays est fouillé par des centaines d’archéologues, et que, sans eux, ce qu’ils y trouvent serait volé par des pillards authentiques, qui le revendraient.
Par ailleurs, lorsque vous placez au Louvre ou au British Museum une œuvre quelconque découverte à l’étranger, elle y sera vue par des centaines de milliers de visiteurs : préfèreriez-vous qu’elle reste ignorée de tous ?
Ce raisonnement, que j’étends aux tableaux, aux livres, aux films, etc., reste valable dans tous les domaines : une œuvre qui n’est vue par personne n’existe pour personne.