Les joyeusetés de la censure
Le site Allociné, qui appartient à Marc Ladreit de Lacharrière – l’ex-« employeur » de l’honnête Penelope Fillon –, publie les nouvelles des films qui sortent en France, ainsi que les critiques des journalistes professionnels. Mais les simples spectateurs peuvent aussi donner leur avis, il suffit d’écrire ce qu’on a pensé du film et d’envoyer son texte vers le site, qui le publie.
Certes, mais il y a des restrictions, c’est-à-dire une censure. Vous pouvez écrire dans un charabia innommable, faire des centaines de fautes d’orthographe ou de grammaire, on ne vous en tiendra pas rigueur. Vous pouvez aussi insulter qui vous voulez, vous ne serez pas davantage censuré. La seule restriction, c’est le spoiler – quand vous révélez un détail de l’histoire que les futurs spectateurs n’ont pas encore vu. Là, on vous renvoie votre message en vous disant qu’il « a été modéré », c’est-à-dire censuré. Vous êtes alors invité à cacher ce que vous n’auriez pas dû dévoiler.
Le hic consiste en ceci, qu’il y a une foule de censeurs chez Allociné, et qu’ils n’ont pas tous la même conception de ce qu’on doit dire ou pas : certains sont assez tolérants, d’autres sont de parfaits crétins qui ne supportent rien.
Aujourd’hui, j’ai vu le film Edmond, qui m’a beaucoup plu, car il raconte comment Edmond Rostand a écrit sa pièce à succès Cyrano de Bergerac. Je suis très amateur de cette pièce, que je sais par cœur depuis l’âge de douze ans. J’ai donc rédigé une critique favorable, que vous pouvez lire ICI, et que j’ai envoyée aux gens d’Allociné. Rien de bien méchant, comme vous voyez. Or il s’est trouvé un censeur pour estimer que j’avais dévoilé des détails à ne pas mettre sous les yeux du public : la fameuse obsession du On-ne-doit-pas-raconter-la-fin. Mais quelle « fin » avais-je omis de cacher ? Eh bien, je « révélais » que le personnage de Cyrano mourait à la fin de la pièce ! Scandale : il est évident que personne en France ne connaissait cette fin, or la raconter est un péché mortel.
Il urgeait par conséquent de voiler cette révélation qui risquait de nuire aux recettes du film. On m’a donc prié de couvrir ce sein qu’on ne saurait voir (Oups, je crois que je viens de me tromper de pièce).