Éloge de l’ennui

Publié le par Yves-André Samère

Hier, les publicités sur France Inter nous ont rabâché qu’il existait en France des agences fournissant aux parents des sortes de babysitters de jour, dont le travail consiste à emmener vos enfants dans ces endroits où on les occupe avec des « activités ». Le prix de ces services n’a pas été dévoilé...

Pour moi, j’ai eu cette chance que personne n’a veillé sur mes heures de liberté, car mes parents n’ont jamais songé que j’avais besoin de me livrer à ces fameuses activités. Une seule fois, vers mes huit ans, ma mère m’avait inscrit chez les louveteaux (des scouts, mais en plus jeunes), mais je m’y étais ennuyé et avais refusé d’y retourner. Moyennant quoi, jusqu’à ce que je quitte la maison à quatorze ans, j’ai connu une paix royale. Bilan : un après-midi perdu. Et une bonne leçon gagnée pour ma mère.

Mais, vous écriez-vous, comme tu as dû t’ennuyer, tout au long de ton enfance ! Ben non, pour deux raisons. La première est que j’avais un sérieux entraînement, n’ayant rencontré aucun enfant avant mes quatre-ans-et-trois-mois. La seconde est que j’ai toujours pensé préférable de m’ennuyer plutôt que de subir des activités « dirigées », comme on dit dans l’univers des adultes. Ça tombait bien, je me dirigeais tout seul.

Or, voyez le hasard, hier soir, Boris Cyrulnik a été invité par Yann Barthès dans son émission quotidienne, et il a tenu un propos qui m’a positivement ravi. Comme l’animateur faisait valoir qu’aujourd’hui, les enfants n’avaient aucune possibilité de s’ennuyer, vu que leurs parents leur fournissent à volonté des smartphones et des tablettes tellement aptes à leur élever l’esprit, Boris a eu ce cri du cœur contre ces engins, qui sont « des catastrophes », et qui fabriqueront avant peu des armées d’abrutis. Et lui aussi a soutenu l’opinion que je tiens depuis toujours : que l’ennui est ce qu’il y a de mieux pour un enfant, qui en profitera pour chercher par lui-même de quoi peupler ses instants de loisir. En somme il fera fonctionner son imagination, évitant ainsi de sombrer dans son fatal destin d’un être humain transformé en automate, incapable de faire travailler ses facultés d’invention.

Moralité : économisez vos sous, n’allez pas payer à vos gosses des cours de danse pour les filles et de judo pour les garçons, et laissez-les s’ennuyer dans leur coin. Leur Q.I. en bénéficiera, et ils vous béniront plus tard.

(NB : Cyrulnik – qui ne sait pas prononcer le verbe aiguiser – a cité un livre que « personne ne lit », et que, dit-il, lui seul a lu, Chiens perdus sans collier. Je suis au regret de le contredire, car j’ai lu ce roman de Gilbert Cesbron, et Jean Delannoy en a fait un film avec Jean Gabin. Je me contenterai de dire que je lui ai préféré Notre prison est un royaume, du même auteur)

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