Cesare
Si vous pouviez inspecter les milliers de livres électroniques accumulés par mes soins, sans compter ceux sur papier dont je ne sais plus où les ranger, vous paririez que jamais je ne lirais de mangas, ces curieux livres de petit format, où les pages sont reliées à l’envers, et dont les images, dessinées en noir et blanc (puisque ce sont des livres uniquement dessinés), se lisent aussi dans l’ordre inverse, de droite à gauche. Ces livres, qui sont dans la tradition nippone et plaisent beaucoup aux jeunes Japonais, racontent des histoires qui sans doute ne vous intéresseraient pas, même si, en Occident, ils ont eu la faveur des jeunes Européens depuis pas mal d’années.
Or, il y a deux ou trois ans, j’ai lu mon premier manga, conçu et dessiné par une artiste japonaise, Mari Yamazaki, très passionnée par la Rome antique et par la culture des bains, commune aux Japonais de toujours et aux Romains d’autrefois. Son œuvre, Thermae romne, remarquablement conçue, raconte l’histoire d’un jeune architecte, Lucius Modestus, vivant au temps de l’empereur Adrien (celui que Marguerite Yourcenar a étrangement rebaptisé « Hadrien »), lui aussi créateur de bains publics. Et ce Lucius, mystérieusement, change d’époque et de continent chaque fois que par accident il tombe dans l’eau – et vous devinez qu’en six volumes de mangas, cela va lui arriver souvent. Bref, transporté comme par magie dans un Japon plus récent que la Rome d’Adrien, il va y apprendre pas mal de choses sur la civilisation japonaise, et appliquer ses nouvelles connaissances à chaque retour à Rome.
Le récit est aussi riche qu’un film contemporain (d’ailleurs, on en a fait un film en trois épisodes), et j’ai dévoré les six tomes de cette saga. L’éditeur d’origine s’appelle Sakka, et ces livres sont parfaitement traduits et apdatés en français.
Or, tout récemment, je me suis aussi pris de passion pour un autre manga, toujours situé en Italie, mais à l’époque de la Renaissance. Il s’intitule Cesare, et parle d’un personnage qui a une très mauvaise réputation, le fils du pape Alexandre VI, un Espagnol nommé Rodrigo Borgia (prononcez « Borja », en vertu de la prononciation italienne qui utilise le I pour adoucir le G, car, sans cela, on entendrait « Borga »). Ce fils, prénommé Cesare, a lui aussi une réputation exécrable, sans doute fabriquée postérieurement, car c’était en fait un personnage cultivé, parlant l’espagnol, l’italien et le français, lisant les grands auteurs dans le texte, et révolté par la pourriture de l’Église à son époque, où les membres du clergé laissaient crever les pauvres alors qu’eux-mêmes se vautraient dans une aisance indécente. Je soupçonne que ce Cesare a subi le même traitement posthume que ce pauvre Néron, qui n’avait pas grand-chose à se reprocher, tous comptes faits. Il a servi de modèle au personnage du livre Le prince, de Machiavel.
Bref, cet après-midi, j’ai acheté les huit tomes de Cesare qui me manquaient. Les dessins, les plus beaux que j’aie jamais vus, et dus à la dessinatrice japonaise Fuyumi Soroyo, qui a soixante ans, s’appuient sur une solide documentation de Motoaki Hara, cinquante-deux ans, qui est diplômé de l’Université de Tokyo des études étrangères et a ensuite étudié à l’Université Ca’ Foscari de Venise pour y approfondir sa connaissance de la Renaissance. Bref, cette série est un chef-d’œuvre.
Mon prochain manga sera Pline. Là, c’est Mari Yamazaki, voir plus haut, qui a fait le scénario.