De Gaulle, doublement criminel
Dans « Le Canard enchaîné » paru la semaine dernière, le mercredi 4 septembre 2019, Sorj Chalandon a rendu compte d’une émission de France 5, d’une durée d’une heure, qu’il avait visionnée avant sa diffusion. Elle s’intitulait Oran, le massacre oublié, et il est impossible, après l’avoir vue, de conserver encore le moindre doute sur De Gaulle : cet homme, qu’on a déifié littéralement, qu’on a bien à tort considéré commme le créateur de la Résistance française contre les nazis, et qui est encore révéré par la plus grande partie de la population française, s’est en réalité comporté comme un criminel d’État. Deux épisodes tragiques de l’Histoire du vingtième siècle peuvent – et doivent – lui être imputés : le messacre des harkis, et le massacre des Français d’Algérie vivant à Oran, le 5 juillet 1962, soit trois jours après la proclamation de l’Indépendance de l’Algérie.
J’ai déjà évoqué plusieurs fois le massacre des harkis, ces Algériens qui avaient pris le parti de l’Algérie française et s’étaient engagés dans l’armée française, donc avaient combattu l’Armée de Libération Algérienne. Après la signature des Accords d’Évian entre la délégation française et la délégation algérienne, la guerre d’Algérie était « officiellement terminée », et les soldats français encore présents en Algérie ont reçu, du gouvernement français, l’ordre de rentrer dans leurs campements, de ne plus intervenir en aucun cas, et, lorsque leur rapatriement en France se ferait, de ne pas emmener les harkis avec eux. C’était les abandonner à leurs anciens ennemis algériens, et les vouer à la mort. Et, en effet, lorsque ces massacres abominables ont commencé, le nouveau pouvoir algérien, en l’occurence celui d’Ahmed Ben Bella (qui, entretemps, avait renversé son rival Benyoucef Benkhedda, parce que celui-ci contestait l’ambition des anciens chefs algériens de prendre la tête du nouvel État, en dépit du fait qu’ils avaient passé le plus grande partie de la guerre en Tunisie ou en prison en France, ce qui était le cas de Ben Bella), avait laissé se commettre ccs horribles massacres – le nombre des victimes, resté inconnu pour des raisons évidentes, oscillant, selon les cas, entre 40 000 et 140 000 victimes. Pour éviter une sorte de guerre civile, Ben Khedda s’était retiré, laissant le fauteuil présidentiel à son rival Ben Bella. Ces massacres ont été indirectement causés par la décision de De Gaulle d’abandonner les harkis, et seule la désobéissance de certains haut gradés de l’armée française, qui ont rapatrié clandestinement leurs anciens soldats algériens, a permis d’en sauver une partie.
Le massacre des Français d’Algérie s’est déroulé le 5 juillet de cette année 1962, à partir de dix heures du matin, nul ne sait comment il a débuté, et les Algériens d’Oran (pas tous !) ont entrepris de tuer tous les Français qu’ils trouvaient dans la rue ou même chez eux : par balles, par le couteau, voire avec des machettes. Cela ne prit fin qu’en début de soirée, et là, l’état-major a ordonné qu’on renvoie chez eux tous les Européens qui s’étaient réfugiés dans les casernements : là encore, les soldats français avaient reçu l’ordre de ne pas défendre leurs compatriotes, ordre donné par De Gaulle au géréral Katz, qui commandait à cette date le corps d’armée de 18 000 soldats basé à Oran. À Paris, le gouvernement n’en ignorait rien, car il était tenu au courant en temps réel, par les télégrammes adressés en permanence au ministère des Armées et au Premier ministre, Georges Pompidou, nommé à la tête du gouvernement le 14 avril précédent, télégrammes rédigés notamment par l’adjoint du général Katz, le général Thierry Godechot. Mais De Gaulle, s’étant mis en tête qu’il avait réglé définitivement la guerre d’Algérie, refusait qu’on se préoccupe encore de l’Algérie et des Français qui y vivaient encore.
Ce fut le plus vaste massacre de civils français commis au temps de la guerre d’Algérie. Les corps des victimes, jetées dans des charniers, ont été enterrés au bulldozer. Et De Gaulle eut alors ce mot : « Pour nous, en Algérie, ça se passe bien, mis à part quelques enlèvements ». On jurerait que continuer à s’intéresser à l’Algérie et à ceux qui vivaient, cela l’importunait, et qu’il ne voulait plus qu’on le dérange avec des sujets insignifiants.