Une ridicule façon de filmer
Cela fait des années que, dans mes compte-rendus très nombreux des films que je vois, je me plains de l’omniprésence de ces films que leurs réalisateurs qualifient de « prise de vue à l’épaule », alors que, de mon côté, je parle simplement de « caméra portée ». Ayant vu des centaines de films réalisés par des centaines de bons cinéastes, je suis bien placé pour écrire que cette lubie de ne PAS utiliser un trépied pour y installer la caméra afin de l’immobiliser produit un résultat désastreux : donner à croire que le cadreur filme n’importe quoi, gaspille de la pellicule (au temps où on utilisait encore de la pellicule), et laisse le spectateur penser que le réalisateur ne sait pas ce qu’il doit filmer, donc préfère tout garder. J’ai fourni de nombreux exemples – comme cette idée ridicule de filmer l’intérieur d’un frigo – quand on ne sait plus conserver ce qui compte vraiment dans la séquence filmée.
Je ne suis pas le seul, car j’entends de plus en plus souvent des critiques professionnels remettre en cause cette façon de (ne pas) travailler, en ne choisissant pas ce qui est réellement important dans une scène. Et j’ai parfois fait référence à des maîtres du cinéma, qui jamais ne sont tombés dans ce travers. Il est vrai que, parfois, la caméra était trop lourde pour pouvoir être portée : dans le cas de La corde, Hitchcock ne pouvait pas exiger que son caméraman porte la caméra, puisqu’elle pesait... trois cents kilos !
Récemment, dans La vérité, film du très estimable réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, tourné en France avec des acteurs français, j’ai eu le plaisir d’entendre Catherine Deneuve critiquer vertement cette façon de filmer, et se demander si, vraiment, un pied de caméra coûtait si cher à la production ! C’est le bon sens même, mais comme le dialogue de ce film a été entièrement conçu par le réalisateur, on peut en conclure que c’était bien l’opinion de ce dernier.
Ainsi, même au Japon, on me donne raison !