Chute ?

Publié le par Yves-André Samère

Dans mon armoire aux clichés raplaplas et aux expressions toutes faites – un meuble immense –, je déniche cette perle : « la chute du mur de Berlin ». Voilà presque vingt ans qu’on nous bassine avec cette platitude.

L’expression est à la fois niaise et perverse, en ceci qu’elle réduit un évènement de portée mondiale à une seule de ses conséquences – la moins importante, hormis à titre de symbole – la destruction programmée d’une muraille. Cet évènement mondial, c’est évidemment la fin du communisme dans l’Empire soviétique, et il est parti de Moscou, lorsque les dirigeants soviétiques sont convenus que le système était en faillite, faisait eau de toutes parts et interdisait tout progrès économique.

Glasnost et perestroika sont nés de ce constat, et Gorbatchev, pourtant communiste convaincu, se chargea courageusement de la liquidation. Courageusement, puisqu’il y a perdu toute sa popularité dans son propre pays, et tout espoir de continuer une carrière politique : en effet, si beaucoup de citoyens soviétiques râlaient contre leur gouvernement, beaucoup aussi tenaient au communisme – ou plutôt, soyons juste, à certains de ses aspects, comme l’absence de chômage, et son corollaire et compagnon de route, l’absentéisme institutionnel. Les citoyens soviétiques ne se souciaient certes pas de travailler plus, fût-ce pour gagner plus, perpective exclue de toute façon ! Ce régime, en fait, leur épargnait tout souci du lendemain et, peut-être plus important, toute espèce d’initiative. Quant à ceux auxquels l’initiative ne répugnait pas et qui savaient nager (les précurseurs des mafiosi russes d’aujourd’hui), ils profitaient fort bien de la situation en se coulant à l’aise entre les différentes classes sociales, aussi réelles qu’officiellement niées, qu’engendre invariablement le totalitarisme, et en usant des privilèges tout aussi niés mais pas moins réels qui y étaient attachés.

Mais les médias n’ont préféré retenir que cet événement plus visible, donc plus rentable pour les journaux, la destruction du mur de Berlin. Or cette destruction n’eut rien d’une chute ! Le mot chute, en effet, évoque un fait accidentel, ne devant rien à la volonté des hommes, ce que ne fut évidemment pas cette démolition décidée par des hommes, spectaculaire, méthodique et ultra-médiatisée.

C’est un peu comme si la conquête spatiale du siècle précédent se trouvait réduite à la phrase prononcée par Neil Armstrong lorsqu’il posa le pied pour la première fois sur le sol lunaire (il l’avait d’ailleurs apprise par cœur... mais s’est trompé en la disant !).

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