Ultra-çon
Yma Sumac est morte il y a quelques jours, le 1er novembre. C’était une chanteuse de variétés d’assez bon niveau, mais qui a surtout connu le succès en raison de l’étendue de sa voix. Il y a une cinquantaine d’années, quand elle était encore célèbre, on disait alors qu’elle pouvait couvrir trois octaves, ce qui est un exploit plutôt rare.
Sa mort a suscité quelques délires. Le premier jour, on a simplement rappelé cet intervalle de trois octaves. Une semaine plus tard, on lui en attribuait quatre, sans la moindre preuve. Mais le summum a été atteint ce soir par France Inter, dans l’émission Et pourtant elle tourne, présentée par Bruno Duvic. Cette fois, on franchit une borne supplémentaire, et le zozo préposé au micro parle de « cinq octaves ». Boufre ! Pourquoi pas sept, ou neuf, ou quatre-vingt-quinze ? Comme tous les gens des médias, il répète ce que le voisin a dit, sans rien vérifier.
Pendant que passait sur les ondes une chanson d’Yma Sumac destinée à illustrer ces élucubrations, je me suis mis devant mon piano et j’ai repéré les notes extrêmes de la chanson. Résultat : DEUX octaves et une quinte, à peine plus de la moitié de ce qu’annonçait le bonimenteur de la radio nationale ! De toute évidence, la chanson choisie n’avait pas de quoi prouver les fadaises qu’il débitait au micro.
Histoire de creuser un peu plus, j’ai écouté un disque enregistré par Yma Sumac, Voice of the Xtabay. La note la plus aigue que j’y ai trouvée est le mi 5, et la plus grave, rarement donnée car la chanteuse ne paraissait pas aussi à l’aise dans le grave que dans l’aigu, était le ré 2. Dans sa chanson Ataypura, qu’on entendait aussi dans le film Le secret des Incas, qu’elle a tourné en 1954 avec Charlton Heston, elle atteignait le fa dièse 5. Elle couvrait donc presque les tessitures de ténor (propre aux hommes uniquement) à soprano léger (la tessiture la plus aigüe propre aux femmes). Autrement dit, l’intervalle était de trois octaves et deux tons. On est loin des cinq octaves annoncées.
Sachant en outre que la note la plus aigüe poussée par le personnage de la Reine de la Nuit dans La flûte enchantée de Mozart est un fa 5, Yma Sumac aurait pu chanter son grand air – peut-être pas si aisément qu’une véritable chanteuse d’opéra. Mais les légendes ont la vie dure : j’ai trouvé dans un forum que... Céline Dion pouvait atteindre le fa 6, encore une octave au-dessus !...
Rions.