Banc d’essai républicain
La Quatrième République, qui a commencé le 22 janvier 1947, a été remplacée par la Cinquième le 8 janvier 1959, parce qu’on lui reprochait son instabilité gouvernementale. En douze ans, elle avait connu vingt-trois gouvernements, dirigés par seize présidents du Conseil (on ne disait pas « Premier ministre », et l’un, Henri Queuille, s’est trouvé trois fois à la tête du gouvernement). Cette instauration de la Cinquième s’est accompagnée d’un changement de Constitution, la nouvelle étant rédigée par Michel Debré sur les instructions de Charles De Gaulle. Les députés du parti politique qu’il avait créé s’étaient appliqués durant des années à faire tomber les gouvernements, afin de préparer le retour en politique de leur patron – furieux, après sa démission du 20 janvier 1946, de n’avoir pas vu le peuple venir le supplier de revenir sur sa décision de retourner dans son village.
La Cinquième République dure encore, depuis cinquante-cinq ans donc, mais on ne peut pas dire qu’elle est le modèle de stabilité qu’on nous avait vanté. Nous en sommes à notre septième président, dont trois ont été élus deux fois.
- Charles De Gaulle I a eu deux Premiers ministres : Michel Debré, renvoyé pour cause d’usure du pouvoir, puis Georges Pompidou. Après sa réélection de 1965, De Gaulle II a d’abord gardé Pompidou, puis l’a renvoyé par rancune personnelle, pour le remplacer par Maurice Couve de Murville, un bon domestique, car Pompidou lui faisait de l’ombre après les élections législatives gagnées grâce à lui. Il a donc eu trois Premiers ministres.
- Georges Pompidou, mort de maladie au bout de cinq ans, a eu deux Premiers ministres : d’abord Jacques Chaban-Delmas, renvoyé parce que ce gaulliste et ancien résistant faisait une politique de gauche. Or Pompidou n’aimait pas la gauche, et il exécrait la Résistance. Chaban a été remplacé par Pierre Messmer.
- Valéry Giscard a eu deux Premiers ministres : Jacques Chirac, qui a démissionné au bout de deux ans parce que le président lui mettait des bâtons dans les roues ; puis Raymond Barre, un économiste jugé « le meilleur de France ».
- François Mitterrand I a eu trois Premiers ministres : Pierre Mauroy, puis Laurent Fabius ; ayant perdu les élections législatives, il dut prendre un troisième Premier ministre dans l’opposition, et ce fut encore Jacques Chirac, lequel... se présenta contre lui à l’élection présidentielle suivante, en 1988, mais perdit. Mitterrand II eut quatre Premiers ministres : Michel Rocard, dont il sabota le travail parce qu’il le haïssait, et qu’il remplaça en vingt-quatre heures par Édith Cresson (seule femme Premier ministre en France), puis par Pierre Bérégovoy. Mais une nouvelle défaite aux élections législatives le força à nommer Édouard Balladur. Lequel, lui aussi, tenta d’être élu à la présidence en 1995, mais perdit.
- Jacques Chirac I a eu deux Premiers ministres : Alain Juppé, puis, après une dissolution intempestive de l’Assemblée nationale, il perdit les élections et fut obligé de prendre un Premier ministre dans l’opposition, Lionel Jospin. Comme ses prédécesseurs, Jospin tenta d’être élu président de la République en 2002, mais il fut battu, et Chirac II prit successivement comme Premiers ministres Jean-Pierre Raffarin, puis Dominique de Villepin.
- Nicolas Sarkozy fut le seul président à n’avoir qu’un Premier ministre, François Fillon. Qui, depuis, le hait.
- François Hollande, en deux ans, a eu deux Premiers ministres : Jean-Marc Ayrault, puis Manuel Valls, en poste actuellement.
Nous en sommes donc à vingt-et-un Premiers ministres, SEPT d’entre eux, le tiers, ayant été nommés par Mitterrand. Disons qu’ils restent plus longtemps qu’au temps de la Quatrième, mais ils sont à la merci du caprice du président qui les a choisis et se comporte ainsi en monarque ! Sous la Quatrième république, c’était le vote du Parlement qui provoquait leur départ. Le régime était donc plus démocratique, puisque seul le peuple, par ses représentants DIRECTS, exerçait le pouvoir.