Bureaucratie française
Vous l’ignorez peut-être, mais nous ne vivons pas en France. Non ! Nous vivons en Union soviétique. Je sais, une rumeur a couru, peu après ce qu’on a bêtement appelé « la chute du mur de Berlin » – comme si une démolition VOLONTAIRE pouvait être qualifiée de « chute ». Le jour où vous verrez quelqu’un faire une chute de son propre gré, téléphonez-moi, je meurs d’impatience. Bref, on nous avait fait croire que l’URSS avait disparu. Discutable.
Certes, certes, il n’y a pas chez nous de KGB, et le SAC a été englouti avec la démission de De Gaulle puis la mort de Pompidou, qui l’avait maintenu (le SAC, pas De Gaulle). Mais nous avons toujours cette bureaucratie qui fait le charme des pays n’ayant pas encore goûté à la pratique d’un gouvernement démocratique, et ne me racontez pas qu’un régime où le chef de l’État installe sa maîtresse au palais présidentiel, lui fait attribuer un bureau et des collaborateurs, et l’envoie faire des discours officiels, tandis que la donzelle en personne se qualifie modestement de « première dame » (on l’a entendue hier), est une démocratie. Mais revenons à nos moutons.
Cet après-midi, je suis allé à l’Hôtel-Dieu me faire vacciner. J’avais pris rendez-vous par téléphone, et l’on m’avait recommandé de venir avec mon vaccin retiré en pharmacie. J’avais bien acquis la précieuse ampoule et l’avais mise au frais dans mon frigo, mais... je l’y ai oubliée au moment de me rendre à l’hosto ! C’est tout moi, ça, j’ai trop lu les albums Tintin et pris exemple sur le professeur Tournesol, au lieu de régler ma conduite sur celle du capitaine Haddock – le seul exemple à suivre, à mon avis... Naturellement, rendu sur place, j’étais un peu confus, mais les infirmières, bonnes filles, m’ont assuré que cela n’aurait aucune importance, qu’elles me vaccineraient avec un vaccin de l’hôpital. Poliment, j’ai proposé de remplacer ultérieurement, avec la mienne enfin sortie du frigo, l’ampoule qu’on allait sacrifier à mon étourderie. Normal. Mais non, impossible ! « On ne peut pas vacciner quelqu’un d’autre avec VOTRE vaccin », m’a-t-on juré. C’est in-ter-dit.
Glissons quelques hypothèses : ou bien mon pharmacien a fabriqué spécialement pour ma pomme le vaccin qu’il m’a fourni, car je serais constitué autrement que les autres Parisiens (je veux bien, mais comment le sait-il ?) ; ou bien un vaccin conçu pour être vendu dans une pharmacie du troisième arrondissement ne convient plus s’il est injecté dans un hôpital du quatrième ; ou bien mon pharmacien a gravé mon nom sur l’ampoule qui a séjourné chez moi, et des inspecteurs de la santé vont venir fouiller les poubelles de l’Hôtel-Dieu afin de vérifier que MON vaccin n’a pas été détourné au profit d’un autre ; ou bien, hypothèse plus que probable, un crétin, quelque part, dans un quelconque bureau, a décrété l’existence d’une cloison étanche entre les vaccins délivrés en pharmacie et les vaccins fournis aux hôpitaux.
Je vais poser la question aux pharmaciens de mon quartier, je les connais bien, ils vont se marrer comme des baleines à cette manifestation de la bureaucratie soviétique à Paris en 2012.