Comment apprendre l’espagnol ?
Lorsque je raconte que j’ai appris l’espagnol en lisant Agatha Christie, mon interlocuteur prend un air bizarre, et je le sens prêt à téléphoner à S.O.S. dingues. Pourtant, je ne galèje pas.
Un certain été, alors que mes fonds étaient à peu près au même niveau que la Mer Morte, je m’étais fait engager comme moniteur de natation dans un club de vacances installé sur la Concha, la plus belle plage de San Sebastián, en Espagne – que les Basques préfèrent appeler Donostía. Les conditions de travail étaient un peu étranges, puisque nous n’avions, mes trois camarades et moi, aucun jour de repos. Notre fonction consistait à initier les enfants des touristes (voire des habitants de la ville) à la brasse, dans de petites piscines en caoutchouc qui nous arrivaient à la taille, et nous faisions cela de neuf heures du matin à deux heures de l’après-midi, heure du déjeuner – on déjeune tard, en Espagne. Naturellement, aux enfants espagnols qui étaient en majorité, nous donnions nos cours dans leur langue. L’après-midi, nous avions quartier libre, sauf celui qui restait jusqu’à six heures du soir, pour avoir l’œil sur le matériel, en attendant le veilleur de nuit.
Par conséquent, un jour sur quatre, au lieu d’aller au cinéma, je devais rester au club, seul, et j’occupais mon temps à lire. Lire quoi ? En vacances, on ne lit pas de philosophie, j’avais donc pris le pli d’acheter régulièrement en ville un roman policier, et comme j’aimais beaucoup Agatha Christie, c’est ce que je choisissais. Inévitablement, il s’agissait de traductions en espagnol, et donc, durant les cinquante jours que j’ai passés sur cette plage, je ne lisais que de l’espagnol. C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai lu sa nouvelle Three blind mice, qui avait servi de source à la fameuse pièce The mousetrap, au record mondial de longévité puisqu’elle se joue encore depuis 1952 – et que j’ai traduite malgré l’interdiction.
J’ai continué après ce séjour, sans toutefois me cantonner aux romans d’Agatha Christie : pour varier un peu les plaisirs, j’ai découvert les aventures de Nero Wolfe, qui m’ont distrait quelque temps.
L’espagnol est la plus facile de toutes les langues que j’ai pu effleurer. Si je devais aller me perdre aux États-Unis, elle me serait utile, puisque c’est la deuxième langue parlée là-bas. Mais enfin, il n’y a pas de danger que j’y aille, je ne tiens pas à mourir de faim...