Dire tout sauf l’essentiel
Karim Rissouli a été journaliste sur France Inter, et a co-écrit un livre sur Martine Aubry. Cette année, il est chroniqueur politique au Grand Journal de Canal Plus. Or, dans cette activité, il a fait preuve vendredi soir d’une pudeur surprenante.
Il traitait en effet d’Aymeric Chauprade, qui, selon « Valeurs actuelles », hebdomadaire très à droite et bien renseigné, a révélé son adhésion, en septembre, au Rassemblement Bleu Marine, mouvement dont le but est d’attirer vers le Front National ceux des Français qui ne veulent pas prendre carrément leur carte de ce parti. Le site Internet du « Figaro » a déjà mentionné que Chauprade fait partie de l’équipe de Marine Le Pen, et la lettre électronique « Maghreb Confidentiel » affirme qu’il va devenir son conseiller pour les relations internationales. Il sera d’ailleurs candidat du parti facho aux prochaines élections européennes. Ainsi, aucune ambigüité, Chauprade est de ce bord que nous affectionnons tous.
Vendredi soir, donc, Rissouli a parlé de ce qui précède. Je m’attendais par conséquent que ce grand journaliste ajoute ce détail pas négligeable : Chauprade s’est mis AUSSI au service de Mohammed VI, roi du Maroc, en vue de défendre aux Nations Unies la thèse marocaine affirmant que le Sahara Occidental, jadis colonie espagnole, appartient au Maroc. Il a même le titre ronflant d’« expert royal pour le Sahara occidental ». Pour plus de précisions sur ce personnage, lire cet article très documenté. Mais ce que l’article ne dit pas, c’est l’histoire de la mainmise du Maroc sur le Sahara Occidental.
Le précédent roi du Maroc, Hassan II, père de Mohammed VI, était dénué de scrupules, et revendiquait la possession du Sahara Occidental, très riche en phosphates. Il avait plusieurs fois, mais en vain, réclamé que l’Espagne le « restitue » au Maroc. Il faut dire que l’Espagne annexe déjà trois territoires marocains, Ifni dans le sud, Ceuta et Melilla dans le nord, et que, pour ne pas les rendre, elle-même argüe que l’Angleterre possède Gibraltar, sur le territoire espagnol. Beau raisonnement... Si bien qu’en 1975, alors que le dictateur espagnol, le général Franco, était à l’agonie, Hassan II sauta sur l’occasion et fit envahir le Sahara convoité par une armée de trois cent cinquante mille lycéens et chômeurs marocains, non armés, manifestation qui fut baptisée La Marche verte, et à laquelle le pouvoir espagnol, dont on ne savait plus qui l’incarnait, ne réagit pas : il n’allait pas se coller une guerre sur le dos, pour une lointaine colonie qui ne l’intéresssait plus tellement.
Le Sahara Occidental fut donc colonisé par le Maroc à son tour, et, bien que la Cour Internationale de La Haye ait donné tort au Maroc, le territoire fut annexé définitivement. Le roi passa le reste de son règne à promettre qu’il y organiserait un référendum d’autodétermination, mais cette consultation n’eut jamais lieu, et son fils a repris le flambeau... avec la complicité de quelques Français, dont Chauprade.
La question que je me posais en commençant est donc : pourquoi le journaliste Rissouli a-t-il fait motus là-dessus ? Pour ne pas gêner Jamel Debbouze, qui est d’origine marocaine et se trouvait en face de lui à la table du Grand Journal ? Ces gens sont d’une exquise urbanité.