Entrez au « Canard enchaîné » !

Publié le par Yves-André Samère

Mon titre ne désigne ni le moyen de se faire embaucher au « Canard enchaîné » – ne rêvons pas –, ni celui d’entrer au 173 rue Saint-Honoré, tout proche de la Comédie-Française, et vous n’en avez pas besoin puisque, jusqu’aux récents attentats, l’endroit n’était pas gardé. Vous entriez par la porte cochère, voisine d’un bistrot, vous poussiez la grille jamais fermée, puis la porte vitrée à votre gauche, où ne se trouvent ni Digicode ni interphone, et vous grimpiez au deuxième étage, tout entier occupé par « Le Canard ». Naguère, il avait aussi un local au troisième, où étaient entreposées les archives (il m’est arrivé de les consulter), mais elles ont été déménagées au deuxième, et, apparemment, ce n’est pas simple d’y retrouver quelque chose, car cet hebdomadaire, ou du moins son administration, n’a jamais apprécié l’informatique : songez qu’il n’a pas de site Internet, sinon une page qui sert surtout à occuper le nom de domaine, afin d’éviter que d’autres s’en emparent. Il y promet d’ouvrir « bientôt » ses archives, mais a publié l’enregistrement sonore d’une conversation de Sarkozy, captée clandestinement par le fameux Buisson.

Lorsque vous parvenez devant la porte du journal, à votre droite, inutile de frapper : personne ne vous répondra. Poussez la porte et entrez. Et là, surprise, cela ne ressemble pas du tout à un journal « normal », pas le genre de ruche bourdonnante que montrent les films. On n’y voit aucun journaliste (j’ai vu passer une fois Dominique Simonnot, avec une de ses collègues, car « Le Canard », qui a longtemps été très misogyne et homophobe, a aussi des rédactrices, et avait même un rédacteur gay, un écrivain qui a eu autrefois le Prix Goncourt !). La raison : ils travaillent chez eux ou au café, essentiellement par téléphone, et ne font qu’une réunion de rédaction par semaine, où la présence de tous n’est pas indispensable. Songez qu’autrefois, un rédacteur très en vue, Pierre Châtelain-Tailhade, qui avait trois pseudonymes (Clément Ledoux, Jérôme Gauthier et... Valentine de Coin-Coin), habitait à Bruxelles, et que son propre rédacteur en chef, Ernest Raynaud, qui signait « R. Treno », vivait à Nice pour raison de santé ! Il dirigeait la rédaction par téléphone...

Pas de journaliste présent, mais deux ou trois secrétaires, toujours des dames mûres et très aimables. L’une d’elles, alors que je cherchais un article sur un film de Clint Eastwood, m’a sorti un petit carnet où étaient notées toutes les références des critiques de cinéma ; une autre, Chloé, m’a même rappelé au téléphone parce qu’elle n’avait pas trouvé aux archives ce que je cherchais sur Norodom Sihanouk, et m’a passé un journaliste de la maison, dont je n’ai pas entendu le nom ! Outre prendre les abonnements ou vous donner un exemplaire du journal quand une grève a empêché que vous le trouviez en kiosque, c’est le principal travail des secrétaires, que de répondre au téléphone et transmettre les appels aux rédacteurs qui ne sont pas sur place.

« Le Canard » est très bien logé depuis qu’il a quitté son deux-pièces du 2 rue des Petits-Pères (durant quelques années, on y avait alors logé « Les dossiers du Canard »). Il faut dire que, se passant de publicité, il gagne beaucoup d’argent, et ses journalistes sont les mieux payés de France ! La recette de cette prospérité est très simple : il n’a pas de correspondant en dehors de Paris. Évidemment, cela limite les frais.

Je vous parlerai une autre fois, peut-être, du recrutement des rédacteurs.

Publié dans Journaux, Curiosités, Médias

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