Faut-il nous suicider ?
En 1929, si vous passiez dans la rue la plus célèbre du monde (mais non, pas les Champs-Élysées ! Ça, il n’y a que les Français pour le croire), je veux dire Wall Street, à New York, vous aviez toutes les chances de recevoir sur la tête un banquier qui, de désespoir, venait de se défenestrer : il en pleuvait littéralement. Ah ! la belle époque où la crise produisait des effets aussi spectaculaires ! Au moins, ça faisait marrer les gosses…
Aujourd’hui, rien de tel, nos chers banquiers sont plus aguerris (il est vrai que ce ne sont pas leurs sous qu’ils perdent, mais les nôtres), et, sous les fenêtres des banques, on ne trébuche guère que sur des clochards. Normal, de ces malheureux, on en trouve partout. Et pourtant, la crise qui sévit en ce moment, c’est comme la guerre de 14-18 pour Brassens, celle que l’on préfère.
Faut-il pour autant mettre fin à nos jours ? À mon (très humble) avis, il est urgent d’attendre encore un peu. Et pourquoi ? Parce que, sauf à souhaiter une catastrophe mondiale qui les engloutira aussi, les politiques s’affairent à mettre en place des mesures radicales qui vont produire leurs effets, quoique pas tout de suite .
Certes, des « opérateurs », pour rester poli, très doués dans l’art de la spéculation, de la rumeur, de l’exagération et de l’irrationnel, ont réussi jusqu’ici à faire croire à quelques bobards dans le style « le marché a toujours raison », mais le roi est nu, et plus personne n’y croit, à commencer par ceux qui, voilà seulement trois ou quatre ans, ne juraient que par ce dieu d’un nouveau genre.
Or les bilans des entreprises sont restaurés (voyez plutôt leurs bénéfices, les dividendes en hausse que perçoivent leurs actionnaires, et les salaires de leurs dirigeants !), et, si les marchés parient aujourd’hui sur la pauvreté des États, ils parieront demain sur la richesse desdites entreprises, puisque c’est là que le véritable pouvoir s’est déplacé. Voyez plutôt l’hommage planétaire que les chefs d’État font à un simple entrepreneur, Steve Jobs, simplement parce qu’il a réussi à « créer de la richesse », comme on dit – et pas seulement la sienne, mais celle de tous ceux qui travaillaient pour lui.
En effet, la panique actuelle, due à la surinformation instantanée, brouille les stratégies : on anticipe – trop, vite et mal, par rapport à la réalité. Par exemple, croyez-vous sérieusement qu’on va laisser tomber la Grèce, au risque d’augmenter le nombre de citoyens sous-développés qui, du coup, et parce que l’Europe leur en donne le droit, viendraient s’installer chez les plus riches qu’eux – comme si l’Afrique ne suffisait pas ? Ce danger-là est plus redoutable que la crise des subprimes !
La vérité est que tout est venu de l’indécision chronique du gouvernement des États-Unis, incapables de trouver et d’appliquer un accord sur la réduction de leur déficit. Mais ils y seront contraints, les Chinois sauront le leur faire comprendre.