Foie gras
Un sondage a révélé que trente pour cent des Français refusent de manger du foie gras pour des raisons éthiques – que j’ai la faiblesse de trouver évidentes. Or, hier, Stéphane Bern avait invité trois cuisiniers dans son émission sur RTL, et il s’est amusé, le sadique, à poser la question à l’un de ces trois hurluberlus pas sadiques du tout mais qui se croient importants (je rappelle que la gastronomie est cette activité consistant à creuser sa tombe avec ses dents), sous prétexte que chez eux on peut dîner pour seulement l’équivalent de six mois de salaire d’un soutier tamoul. Le type s’appelle Yves Camdeborde, et il est du sud-ouest, donc, pour ce genre d’artiste, le foie gras, c’est encore plus sacré que l’hostie pour un curé.
Réponse du débile mental : « Moi, je respecte les gens qui refusent de manger du foie gras [on sent qu’il aimerait les traiter comme ses chers canards], mais j’ai envie de leur dire “Arrêtez de manger du bœuf, arrêtez de manger du cochon, arrêtez de manger des volailles”. Mais justement, pourquoi pas ? Manger de la viande, c’est la façon la plus bête de se nourrir, celle qui consomme le plus d’eau, par exemple, et appauvrit les terres cultivables. Car enfin, ces bêtes, il faut bien les nourrir et les abreuver, avant de les zigouiller pour notre plaisir personnel – enfin, le vôtre, car je ne participe pas.
Mais le zozo continue : « Le foie gras, c’est un produit d’exception, c’est un produit qui nous vient de notre tradition, dans le sud-ouest ». Comme la tauromachie, cher homme. « Tous ces produits, quand c’est fait par des gens qui le font avec respect, quand c’est fait par l’art des artisans, c’est toujours bien fait ». Exactement ! Quand, autrefois, on castrait des petits garçons pour leur donner une voix de soprano, c’était fait par des artisans, et c’était toujours bien fait. Sauf pour les centaines de gosses qui en mouraient, et je ne dis rien des survivants, qui en restaient définitivement infirmes.
« Il faut savoir que quelqu’un qui élève ses canards pour avoir le foie, ses canards, il les bichonne toute l’année, il en prend soin, ils sont gavés avec respect, avec amour, et les bêtes ne souffrent pas ». Elles en redemandent, même ! Et je me demande pourquoi, dans cette séquence que j’ai vue à la télévision l’autre jour, la bestiole gigotait tellement en tous sens quand on lui enfonçait un entonnoir dans la gorge. Un prélude à l’orgasme tout proche ?
Le cher Stéphane objecte alors que l’on colle volontairement une maladie à l’animal. Réaction du zozo canardophile : les porcs aussi, en les engraissant, on les rend malades. J’admire beaucoup ce genre de raisonnement fondé sur la démocratisation des mauvais traitements. Il rappelle celui tenu par un type qui voit trois voyous en train de violer une fille dans un coin sombre, et va se joindre à eux : « Si je n’y vais pas, il y en aura un autre qui le fera, alors, autant que j’en profite ». La civilisation est en marche.